07 novembre 2018

Philippe Faure publie…

Philippe Faure publie Soleil en Sommeil, poésies

Les éditions AO, qui l'ont assisté dans la réalisation de cet ouvrage, assurent la collecte des commandes. Rassemblant plus de 160 poèmes, il comporte 224 pages, brochées, format 12 x 22 cm • Prix public : 16 € • ISBN 979-10-699-2449-9 • Livraison première quinzaine de décembre.

Présentation du livre par l'auteur

Né en 1962, j’ai passé mon enfance dans les montagnes enneigées du Vercors.
Nous habitions l’école communale, où mon père était instituteur. Mes parents ont veillé sur nous jusqu’à la mort prématurée de ma mère à 66 ans.
Jeune homme romantique et tourmenté, l’écriture m’a sans doute beaucoup aidé à traverser cette période de ma vie ainsi que l’adolescence.
J’ai continué d’écrire des poèmes, chaque fois que les émotions me submergeaient. La poésie m’a sans doute préservé de mes démons les plus terribles.
Même si je suis aujourd’hui plus serein, c’est encore par l’écriture que j’exprime mes colères ou mes passions.
J’espère que mes vers sauront vous émouvoir. Peut-être qu’ils vous feront redécouvrir ce vieil adolescent que vous croyez connaître et qui apparaît parfois entre deux strophes.
Philippe Faure
Car en ce coin de mon cœur
Restait comme une tendre froideur
Et même si je rêvais de plages blanches
La tempête charriait ses écumes franches
Bon de commande

Vous pouvez adresser vos commandes directement aux éditions AO, en imprimant l'image ci-dessous (pensez à zoomer en cliquant dessus) et en y joignant votre chèque de règlement.


Si vous préférez passer votre commande par courriel, prenez contact directement avec JL Tafforeau, des éditions AO, à l'adresse contact(at)ao-editions.com (remplacez le (at) par le signe @).

20 octobre 2018

Boucherie végan

En vue d'un salon du livre, je devais me munir de quelques dizaines de pièces pour rendre la monnaie – ce qu'on appelle un “fond de caisse”. Je me suis rendu à mon agence de la Banque Palatine pour cette démarche, que j'accomplis très rarement.

Dès que j'ai eu formulé ma demande, sans m'inviter à m'asseoir, l'employée a agité une main négative :
– Je vous arrête tout de suite ! Nous n'assurons plus ce service depuis longtemps.
– Ah… Au téléphone, on m'avait pourtant dit que vous disposiez d'un automate pour cela…
– Non, non ! L'automate, c'est pour déposer des pièces, pas pour en retirer.
– Comment pourrais-je procéder ?
Mimique irritée, hochement de tête :
– Ce service n'existe plus. En tout cas, pas chez nous.
Sans voix, songeant à ce “je vous arrête” – un vigile se préparait-il à m'évacuer ? – j'ai tourné les talons et quitté l'agence comme… un voleur.

Le soir, avant de m'endormir, songeant à cet étonnante et paradoxale constatation qu'une banque est désormais incapable de fournir de l'argent, je me mis à transposer, en un rêve éveillé…

– Bonjour, monsieur, je voudrais un steak dans la bavette, s'il vous plaît.
Regard consterné du boucher :
– Monsieur, je vous arrête tout de suite…
– Vous n'en avez plus ? Dans un autre morceau, alors…
– Pas chez nous ! Ce produit n'existe plus depuis longtemps. Nous sommes une boucherie végan.
– Ah… Bon, dans ce cas, donnez-moi une livre de carottes.
Mimique exaspérée du commerçant :
– Je vous le répète calmement, monsieur, si vous voulez bien m'écouter, ici, c'est une boucherie, nous ne vendons pas de légumes.
– Vous vendez quoi, pour une boucherie, du coup ?
– Je vous prie de ne plus m'importuner, au revoir, monsieur, j'ai du travail.

Étonnamment, ce sera pourtant chez mon boucher que j'obtiendrai quelques pièces de 2 euros pour constituer mon “fond de caisse”…

15 septembre 2018

Lectures d'été

Quelques notes de lectures d'été.

 

Un personnage de roman, de Philippe Besson (10/18 n°5358, 2017) †† & Tuer Jupiter, de François Médéline (La Manufacture de Livres, 2018) **


Sans aucun préjugé, je m'étais fié au titre du livre de Philippe Besson, espérant découvrir une chronique plus “littéraire” de l'accession au pouvoir de notre président de la République. Aïe ! Raté ! Ce carnet de campagne bâclé, hagiographique en diable, ne m'a rien appris – ou si peu – et convaincu du contraire : non, Emmanuel M. (comme le désigne Philippe B.) n'a vraiment rien d'un personnage de roman.

Sauf… sauf dans Tuer Jupiter, de François M., publié en juin 2018. Le personnage de roman, paradoxalement, meurt dans les premières pages : Médéline imagine en effet qu'Emmanuel Macron est assassiné, et expose l'affaire à l'envers, en commençant par la fin pour remonter le temps, jusqu'à la solution de l'énigme, qui a tué et pourquoi. L'intrigue n'a que peu d'intérêt. C'est le style qui frappe, choque et indigne. L'auteur réussit à rédiger “à la façon des réseaux sociaux et des grands médias”, avec une fureur gourmande (parfois maniérée) qui fait mouche. Un exemple avec le “placement de marques” (et c'est le plus soft) :
« La veuve portait un tailleur noir, des collants noirs, des chaussures noires, elle avait le pas sûr. Anne-Claire Coudray fit remarquer sur TF1 que le lunetier parisien François Pinton, qui avait créé en son temps les mythiques lunettes de Jacky Kennedy, avait spécialement conçu la paire de Brigitte Macron et ce subtil verre fumé à travers lequel on percevait la tristesse de son regard. »
Nous vous laissons faire vos pronostics sur les candidatures à l'élection présidentielle organisée pour janvier 2019 dans le roman, durant l'intérim de Gérard Larcher, et écrire – pourquoi pas ? – la suite de cette histoire qui laisse un goût amer dans la bouche écœurée du lecteur. Comme dirait je ne sais plus qui : “On en est là ? On en est là !”

 

Dalva, de Jim Harrison (10/18 n°2168, 1988) ***


Il n'était que temps de découvrir enfin ce grand écrivain américain (1937-2016). 500 pages de l'histoire de Dalva, 45 ans lorsqu'elle entreprend de la relater à la première personne, avant de céder la plume à son petit ami et fantasque professeur d'université Michaël, pour ensuite revenir au premier plan dans le dernier tiers.

Le romancier nous entraîne dans les circonvolutions d'un passé complexe, remontant jusqu'au XIXe siècle, aux origines indiennes de Dalva. Virtuosité indéniable dans cette façon de mêler sans cesse le présent (1986) et des réminiscences personnelles et historiques – le journal de l'ancêtre de Dalva que Michaël étudie. On ne se perd pas, on s'imprègne au contraire progressivement des émotions des personnages, tout en suivant la résolution lente et douloureuse du drame familial personnel subi par Dalva à l'âge de 18 ans à peine.

Mon regard sur l'Amérique des pionniers en aura été bouleversée, jetant un éclairage nouveau, et noir, sur leurs mœurs et leur esprit conquérant – voire destructeur.
Un style, une construction très audacieux et personnels. Jim Harrison confirme sa réputation !

 

Une façon de chanter, de Jean Rouaud (Folio n°5653, 2012) ****


La lecture de Très cher Manu, dans Le Monde du 26 juin, signée “Jeannot” – pour Jean Rouaud – m'avait tellement plu que j'ai songé qu'il était plus que temps de découvrir celui qui avait remporté le Prix Goncourt en 1990 (à 38 ans et pour son premier roman, eh ben !). Mon choix s'est porté sur Une façon de chanter, à cause de la couverture, un adolescent chevelu et ébouriffé penché sur sa guitare qui m'a rappelé le Jean-Luc des années 1975…


Le fait est que j'ai retrouvé dans ce texte nombre d'émotions personnelles, que Rouaud met en scène avec talent. Il parvient à traiter des éléments autobiographiques, une démarche ô combien risquée, sans tomber dans les pièges du genre. Bravo !
« Car le ténébreux jeune homme compose. Il ne connaissait pas trois accords que déjà il écrivait sa première chanson. […] Et pour les accords vraisemblablement la mineur et mi mineur, avec peut-être un ré mineur, les plus faciles à passer pour un débutant. […] Car le corps du jeune homme, serrant contre lui sa guitare, se penche au-dessus d'un puits de désespérance. »
Tout comme dans sa diatribe du Monde, pour laquelle Rouaud a trouvé les mots décrivant ma colère sporadique contre “Manu”, il décrit avec justesse ce que j'ai pu ressentir à quelque 18 ans. Contrairement à l'auteur, qui a tout oublié de ses compositions, j'ai pris le risque de les “réhabiliter” il y a une quinzaine d'années. Ma première composition, à base de la, mi et ré mineurs, est en ligne sur les plate-formes musicales, signée d'un pseudo, Yam Carnet, sous le titre I Can't Tell You. Si le cœur vous en dit, c'est par exemple écoutable sur Deezer, ou des extraits ci-dessous :



On m'excusera de parler ainsi de “moi”… L'occasion était trop tentante. Nul doute que vous trouverez dans ce très beau livre d'autres émotions que l'auteur a partagé avec vous à votre insu.

 

La Conspiration Kolarich, de David Ellis (Pocket n° 16742, 2012) **


C'est en musardant dans une station-service d'autoroute que je suis tombé sur ce suspense, dans le bac des soldes. Bingo ! Ce David Ellis nous propose un de ces suspenses “judiciaires” à l'américaine, dans un style extrêmement proche des Connelly mettant en scène l'avocat Michaël Haller. Il s'appelle ici Jason Kolarich et, contrairement au titre français, stupide, ne conspire aucunement. Il cherche juste à défendre un homme accusé d'un assassinat, The Wrong Man, comme l'indique plus justement le titre en VO. Rebondissements, personnages bien campés, dramaturgie judiciaire et final bien sûr inattendu, les ingrédients sont là, et le mélange prend.

 

L'Informateur, de John Grisham (Livre de Poche n° 34926, 2018) *


Grisham, autre spécialiste des suspenses judiciaires – il a été avocat, tout comme David Ellis – est ici en petite forme. Son Informateur se lit agréablement, sans plus. Comparé à ces précédents opus, il fait pâle figure. Tout juste prend-on connaissance de ces Indiens américains vivant dans des “réserves” où, parfois, l'installation d'un casino permet à la communauté de devenir richissime, pas vraiment pour le meilleur, plutôt pour le pire.
(À propos d'indiens, mieux vaut lire le roman de Jim Harrison ! Voir plus haut dans ce billet)

09 juin 2018

Les subtilités de la traduction - 1984 (Orwell)

Dans Le Monde des Livres de la semaine dernière, une nouvelle traduction du célèbre roman de George Orwell, 1984, est chroniquée.
Un intéressant comparatif entre les deux traductions – celle de 1950 et celle de 2018 – nous est présenté. Il donne la mesure des subtilités et des difficultés d'une traduction littéraire.
Voici le texte original. L'occasion d'exercer votre plume de traductrice ou traducteur !


Les solutions suivront (vous devez pouvoir les trouver sur le site du Monde, mais nous vous conseillons de rédiger votre propre traduction au préalable).

J'ai tenté ma chance en direct ; erreurs probables !
Il saisit sur l'étagère une bouteille à l'étiquette blanche portant la simple inscription “Gin de la Victoire”, qui renfermait un liquide sans couleur précise. Il s'en dégageait une odeur poisseuse et huileuse rappelant l'alcool de riz chinois. Winston s'en versa l'équivalent d'une tasse à thé, se prépara au choc et l'avala cul-sec, comme un médicament.
Son visage s'empourpra derechef ; des larmes jaillirent de ses yeux. Ce truc ressemblait à de l'acide nitrique ; en l'ingurgitant, on avait l'impression de recevoir un coup de matraque sur la nuque.

Ajout du 25 juin 2018
Ci-dessous les deux traductions que Le Monde des Livres plaçait côté-à-côte. Deux partis très différents à presque 70 ans de distance… ne serait-ce que par le choix du présent de narration.


22 mai 2018

Lectures récentes

Quelques notes de lectures récentes.

 

Mishenka, de Daniel Tammet (J'ai lu, 2016) *

Un championnat d'échecs en URSS au début des années 1960. Malgré tous les efforts de l'auteur pour nous mettre dans l'ambiance et nous sensibiliser aux enjeux des parties d'échecs disputées sur plusieurs semaines, la lecture de ce roman reste un brin fastidieuse. Dans ce registre, j'avais préféré le film “La Diagonale du fou”…

 

La Forteresse impossible, de Jason Rekulak (Actes Sud, 2017) ***

Dans une petite ville du New Jersey, trois jeunes adolescents, geeks des années 1980, rêvent et tentent leur chance auprès des filles. Un humour rafraîchissant, un scénario très bien construit, et même des lignes de code en BASIC au début de chaque chapitre, qui m'ont rappelé mes débuts sur Apple II…

 

Thriller, de Iegor Gran (POL, 2009) ***

La suite de ma “cure Iegor Gran”. Ce romancier sait varier les tons et les styles, preuve de son aisance et même de sa virtuosité. Dans cette fausse histoire de crimes et délits, le récit est relaté alternativement par chaque protagoniste, une construction réussie car variant les ambiances et attitudes. Un jeu de massacre cruel qui, bien que se déroulant aux États-Unis, est très français dans son esprit. Cette critique de la société contemporaine est d'une sévérité implacable…

 

Date limite, de Duane Swierczynski (Rivages / Noir, 2014) ***

En tant qu'amateur de paradoxes temporels, j'ai été servi. Mickey Wade découvre des pilules qui le font retourner dans le passé, le jour de sa naissance. Il va tenter de modifier son histoire, au prix d'aléas et de péripéties extrêmement bien imaginées. Un mécanisme implacable et subtilement construit. Je regrette juste cette tendance très américaine au “noir-sordide” excessif, parfois superflue et un brin lassante.

 

Ipso facto, de Iegor Gran (POL, Folio, 1998) **

ONG ! et, plus encore, L'Écologie en bas de chez moi, figurent parmi mes chocs de lecture récents. Je voulais voir ce que donnait ce premier roman de Iegor Gran (1998). Une verve indéniable, un ton satyrique très acéré pour un mélange d'absurde et de fantasmes crus aussi désopilants qu'éprouvants. Une lecture qui laisse quelque peu décontenancé ; l'auteur sait nous manipuler. Une révélation !

 

Le lieu essentiel, de Philippe Claudel (Arthaud, 2018) **

Très beaux textes sur la montagne et l'alpinisme, sous forme d'entretiens avec Fabrice Lardreau, pour un objet-livre sobre et agréable à lire. La vision de l'auteur est sensible et personnelle, on partage avec grand plaisir ces notes et brefs récits d'expériences en montagne.

 

Comment la France a tué ses villes, de Olivier Razemon (Rue de l'Échiquier, 2016-2017) ***

Ce qui aurait pu être une étude géographique et sociologique austère se révèle une excursion vivante et attrayante dans ces petites villes françaises qui se meurent commercialement – et humainement en conséquence. On prend la mesure des enjeux urbains, de la difficulté de renverser la tendance, alors que tant de rues attendent de revivre pour notre plus grand épanouissement. La problématique est complexe ! Par quoi commencer ? On constate combien la tâche est ardue, non sans une certaine tristesse. Pour ma part, je reste réservé quant à l'efficacité du transport à vélo, certes sympathique, mais qui paraît dérisoire face à l'ampleur des problèmes de déplacements.

 

Millésime 54, de Antoine Laurain (Flammarion,2018 ) **

Antoine Laurain a été ma découverte de 2017, avec Fume et tue largement en tête de liste. Cette nouveauté de début 2018 m'a déçu par son manque de surprise. Ce voyage dans le temps de  personnages certes attachants reste convenu, comparé aux autres romans de l'auteur.

 

Pour services rendus, de Iain Levison (Liana Levi, 2018) ***

Un autre de ces auteurs dont j'apprécie souvent les romans, que ce soit Un petit boulot, Ils savent tout de vous, et surtout l'excellent Arrêtez-moi là ! (dont un film réussi, transposé en France, a été tiré).
Ce qui est marquant, dans Pour services rendus, ce sont ces allers-retours entre le passé – la guerre du Vietnam – et le présent – un sénateur qui utilise son état de vétéran dans sa campagne électorale et va mentir effrontément pour se valoriser. Les scènes au Vietnam sont abordées sous un angle inédit, n'ayant pas besoin d'en faire des tonnes pour qu'on en ressente l'horreur et l'absurdité.

 

Dernières nouvelles du futur, de Patrick Franceschi (Grasset, 2018) **

L'auteur aurait pu écrire un essai – on songe à L'Homme nu de Marc Dugain et Christophe Labbé. Il a préféré nous livrer une série de nouvelles pour illustrer les risques terribles que la société numérique fait peser sur nos libertés. C'est convaincant, parfois effrayant, avec des touches d'humour noir bienvenues. Les textes sont reliés entre eux, et doivent se lire dans l'ordre, ce qui en fait une lecture moins hachée que de coutume dans ce genre littéraire.

 

Les huit montagnes, de Paolo Cognetti (Stock, 2017) ****

À l'occasion de vacances d'été, deux enfants deviennent amis : un montagnard et un citadin. Le roman nous raconte sobrement trente années d'amitié, de ruptures et de retrouvailles, observe comment les deux hommes s'influencent mutuellement. La sobriété du style, l'originalité des faits relatés, la puissance et la cruauté de la montagne impressionnent. Que d'émotions contenues et pourtant si fortes ! Le ressenti particulier de l'auteur donne une fresque parfois amère et désespérée, que seule les qualités humaines parviennent à adoucir par instants.
(Merci à Laurent, libraire à Barcelonnette pour me l'avoir fait découvrir).

 

Les gens comme Monsieur Faux, de Philippe Setbon (Éditions du Caïman, 2017) **

Avec le sens du scénario hérité de sa longue carrière de réalisateur et scénariste, Philippe Setbon joue avec les codes du roman de serial killer pour nous offrir un roman ironique et bien construit. Une lecture rapide et aisée : les pages se tournent à toute allure, les surprises pleuvent, les personnages se font tous tromper tour à tour, tout autant que le lecteur !

 

Faux départ, de Marion Messina (Le Dilettante, 2017) **

Une chronique extrêmement crue et dure des débuts dans la vie d'une jeune femme. L'humour n'en est pas absent, mais il est noir… On note des références à Houellebecq, en particulier avec tous ces mots composés en italiques pour mieux mettre en évidence leur inanité. Une lecture éprouvante, un témoignage majeur sur l'entrée dans la vie active de la jeune génération…

19 mai 2018

À propos d'écriture inclusive


La philosophe Barbara Cassin a été élue à l'Académie française le 4 mai 2018. Dans une interview au Monde (édition datée des 13-14 mai), elle résume fort bien notre opinion sur l'écriture inclusive (zoomez sur l'image pour lire le texte).
« Écrire ainsi tout du long [d'un texte] et prétendre y contraindre, c'est un gâchis illisible, inesthétique, donc impardonnable. »
Tout y est : prétendre y contraindre. Quelle est cette nouvelle mode soudaine de l'autoritarisme ? Illisible : or, quand on publie des textes, que doit-on faire avant tout autre chose, si ce n'est les rendre lisibles ?

Plus loin dans sa réponse, Barbara Cassin se montre favorable à un accord des adjectifs sur le dernier substantif, une idée qui ne nous choque pas. Après tout, pourquoi pas ? C'est une règle comme une autre, qui a sa logique et ne compromet pas la compréhension…
Quoique… Dans certains cas, il faudrait alors adapter sa rédaction. Amusante coïncidence, dans la même édition du Monde, l'éditorial comporte une phrase montrant l'écueil :
« Il est vrai que ce producteur américain, accusé de harcèlement et d'agressions sexuels… »
L'adjectif “sexuels” est au masculin. Ce qui signifie que ce sont à la fois le harcèlement et les agressions qui sont “sexuels”. En écrivant “accusé de harcèlement et d'agressions sexuelles”, on aurait signifié qu'il s'agissait de harcèlement en général (moral, notamment), et d'agressions à caractère sexuel. Dans ce texte, la nuance est sans grande importance. Il en serait autrement dans un texte à valeur juridique, le droit pénal définissant avec précision des crimes et délits : harcèlement sexuel, pourrait, par exemple, être qualifié plus sévèrement que le harcèlement moral.
L'extrait figure ci-dessous.


08 janvier 2018

Un guide de haute montagne à livre ouvert

À la fin de l'année 2013, les éditions AO publiaient De Fils en Aiguilles, la “parole de guide” de Jean-Claude Charlet. Les origines et la préparation de ce livre avait été relatées sur ce blog dans un article de décembre 2013. L'ouvrage allait se propulser au sommet des chiffres de ventes des éditions AO.
Depuis, la “cordée littéraire” que nous avions formée a poursuivi ses ascensions.

En 2015, Jean-Claude Charlet devenait à nouveau président de la Compagnie des Guides de Chamonix. Ce mandat devait malheureusement prendre fin à l'automne 2016, Jean-Claude apprenant qu'il était atteint d'un cancer nécessitant des traitements lourds. Il parvint, à force de courage et de ténacité, à reprendre des forces au printemps 2017, et me demanda de l'accompagner dans la réalisation d'un nouveau livre.

De mai à septembre, Jean-Claude a donc travaillé sur des textes inédits, et a révisé profondément la forme de ses discours prononcés à Argentière ou Chamonix depuis 2014. Nous avons porté la plus grande attention au style, aux enchaînements, à l'ordre d'apparition des chapitres – au nombre de 12 – puis, à son initiative, sélectionné de nombreuses photos en couleur afin d'enrichir le livre. Des photographes de talent, professionnels ou amateurs, ont accepté de nous confier leurs clichés, voire de réaliser des prises de vues spécialement pour l'occasion comme le fit Gilles Piel. Les guides Didier Tiberghien et David Ravanel figurent parmi les contributeurs, ainsi que Sonia Guiollot et Géraldine Charlet pour des dessins et aquarelles. La collection personnelle de l'auteur a permis aussi de retrouver des clichés historiques, comme celui de Camille Devouassoux au sommet du Petit Dru dans les années trente (ci-dessus).

Le 5 septembre 2017, Jean-Claude Charlet mettait le point final au dernier chapitre, dont le titre lui avait été inspiré par son préfacier, Maurice Simon, De l'autre côté des nuages.
Il restait à passer à la relecture du texte, à la mise en pages, à la sélection et au placement des photos dans le corps du livre, à concevoir la couverture, à trouver un titre… avec pour objectif une parution “pour Noël”. Nous allions alterner séances de travail à distance ou aux Frasserands pour donner tout son lustre à  ce livre dont le titre était enfin fixé après plusieurs séances de brainstorming : ce serait “Un guide de montagne à livre ouvert”.

C'est alors que, courant octobre, Jean-Claude était rattrapé par ce mal sournois que pourtant il semblait avoir jugulé, comme il le relate dans un chapitre au titre ironique, “Le tourteau du président”. Soudain, la course contre la montre devenait une course contre la maladie, une expérience terrible qu'il mena avec une énergie et un courage admirables. À la mi-novembre, Jean-Claude était hospitalisé à Annecy. Nous n'en poursuivions pas moins nos échanges, le “bon à tirer” étant donné à l'imprimeur le 20 novembre.

Entretemps, le mal progressait. Par chance, l'imprimeur accepta de réaliser en urgence deux exemplaires du livre à paraître, que Jean-Claude Charlet put tenir entre ses mains le mardi 28 novembre – qui se trouvait être la date anniversaire de la mort de son père, Armand Charlet, ainsi qu'il me l'indiqua dans un message téléphonique ému. Le jeudi 30 novembre, l'imprimeur m'avertit que le stock de livres était expédié. Il restait à patienter… sauf que le cancer progressait à vive allure, au point d'avoir raison des forces de Jean-Claude à minuit, dans la nuit du 1er au 2 décembre 2017…

Jamais je n'aurais cru être confronté, en tant qu'éditeur, à un tel contexte, dans lequel l'urgence était devenue vitale. Quelle chance d'avoir pu faire parvenir à l'auteur le résultat de son travail ! Mais quelle émotion, et quel désarroi qu'il soit “absent pour toujours” au moment où son témoignage était publié !
La “cordée littéraire” que nous formions est désormais un merveilleux souvenir, le “guide” me manquera, tant cette collaboration m'a apporté de nouveaux points de vue sur l'alpinisme, le métier de guide et, plus encore, sur la Vie elle-même…

La cérémonie des obsèques de Jean-Claude s'est tenue le mardi 5 décembre à Argentière, émaillée d'hommages de très haute tenue, tandis que son fils Zian lisait les deux dernières pages du livre, Voici quelle est ma liberté, un texte en forme de testament – qui pourtant avait été écrit avant que Jean-Claude n'ait connaissance de la rechute qui lui serait fatale.

Aux éditions AO, nous avons fait nôtre cette maxime de Paul Auster : “Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir des livres”. Le pouvoir des livres est, c'est un fait, puissant ; il permet de garder, au-delà de la mort, la trace d'idées, de témoignages, d'émotions… et d'assurer leur transmission. Mais ce n'est qu'un livre, qu'une part infime de la personnalité qui, soudain, s'est évanouie, a quitté notre monde.


Nous citerons pour terminer, avec son accord, un extrait de l'hommage que Maurice Simon a lu à la cérémonie du 5 décembre :
“Tu es désormais parti pour ta dernière grande course, ta dernière grande ascension Jean-Claude. Nous parlions souvent de fin de vie, mais en fait pour les amis tu ne seras jamais absent. Bien sage était celui qui disait : « Mon ami n’est pas mort puisqu’il continue de vivre en moi ». Je trouve cela très beau et j’y rajouterai modestement : « Je ne suis pas mort car je vis aussi du souvenir de mon ami qui m’a tant offert ». Que sommes-nous donc sans l’autre ?”
 Billet rédigé par Jean-Luc Tafforeau, gérant des éditions AO, le 30 décembre 2017
Les photos inédites reproduites ci-dessus sont de Gilles Piel : http://www.gilles-piel.com