En vue d'un salon du livre, je devais me munir de quelques dizaines de pièces pour rendre la monnaie – ce qu'on appelle un “fond de caisse”. Je me suis rendu à mon agence de la Banque Palatine pour cette démarche, que j'accomplis très rarement.
Dès que j'ai eu formulé ma demande, sans m'inviter à m'asseoir, l'employée a agité une main négative :
– Je vous arrête tout de suite ! Nous n'assurons plus ce service depuis longtemps.
– Ah… Au téléphone, on m'avait pourtant dit que vous disposiez d'un automate pour cela…
– Non, non ! L'automate, c'est pour déposer des pièces, pas pour en retirer.
– Comment pourrais-je procéder ?
Mimique irritée, hochement de tête :
– Ce service n'existe plus. En tout cas, pas chez nous.
Sans voix, songeant à ce “je vous arrête” – un vigile se préparait-il à m'évacuer ? – j'ai tourné les talons et quitté l'agence comme… un voleur.
Le soir, avant de m'endormir, songeant à cet étonnante et paradoxale constatation qu'une banque est désormais incapable de fournir de l'argent, je me mis à transposer, en un rêve éveillé…
– Bonjour, monsieur, je voudrais un steak dans la bavette, s'il vous plaît.
Regard consterné du boucher :
– Monsieur, je vous arrête tout de suite…
– Vous n'en avez plus ? Dans un autre morceau, alors…
– Pas chez nous ! Ce produit n'existe plus depuis longtemps. Nous sommes une boucherie végan.
– Ah… Bon, dans ce cas, donnez-moi une livre de carottes.
Mimique exaspérée du commerçant :
– Je vous le répète calmement, monsieur, si vous voulez bien m'écouter, ici, c'est une boucherie, nous ne vendons pas de légumes.
– Vous vendez quoi, pour une boucherie, du coup ?
– Je vous prie de ne plus m'importuner, au revoir, monsieur, j'ai du travail.
Étonnamment, ce sera pourtant chez mon boucher que j'obtiendrai quelques pièces de 2 euros pour constituer mon “fond de caisse”…