Le Fil à plomb - épisode 8 - Bloqués au sommet
Le sommaire de ce récit figure à cette page : http://ao-editions.blogspot.com/2020/03/filaplomb.html
Il est à peu près 18 heures. La radio fonctionne de nouveau. Cela permet à Gilbert de prévenir Annick, qui fera passer le message. Nous sommes sains et saufs, à l’aiguille du Midi, ce qui ne nous avance guère pour les heures qui viennent et s’annoncent glaciales.
– Fais des moulinets avec les bras, ça réchauffe, me conseille Gilbert en me faisant une démonstration.
Je m'exécute et, c’est vrai, un peu de chaleur irrigue mes bras.
Que va-t-on faire ?
Un guide évite de partager ses réflexions avec son monchu : inutile de l’affoler. Je comprendrai plus tard en quoi elles avaient consisté. Quelles solutions pour se tirer de ce pétrin ? Impossible de rester là à faire des moulinets de bras pendant 14 heures, en attendant la première benne de 8 heures du matin. Alors ?
Il y avait bien une solution, guère commode cependant : trouver un abri chauffé. Le plus proche n’était autre que le refuge du Requin. Proche ? Disons plutôt “le moins éloigné”. Situé à 2 500 mètres d’altitude, soit plus de mille deux cents mètres plus bas, il ne serait atteint qu’en parcourant à pied la moitié de la descente de la Vallée Blanche. On ne compte pas en kilomètres, en montagne. Mais pour donner un idée de la distance, 7 à 8 kilomètres doivent être vraisemblables. Comment trouver l’itinéraire ? Nous ne disposons d’aucun moyen pour nous éclairer, n’ayant pas emporté de lampes frontales. Une vague lune, si je me souviens bien, jette une lueur des plus avares sur la neige. Il faudrait avancer au jugé, en se repérant sur les traces de ski.…
Ce 29 février au soir, Gilbert n’évoque pas devant moi cette hypothèse.
– Attends-moi là, je reviens.
Quelques minutes plus tard, il est de retour :
– C’est arrangé ! Tu vas voir.
Sauvés !
J’apprends alors que nous n’étions pas seuls au sommet de l’aiguille du Midi. Certaines nuits, un gardien loge sur place. Cela permet sans doute d’accélérer la procédure d’ouverture des installations le matin, évitant une benne spéciale convoyant les techniciens. Or, ce 29 février au soir, le gardien est présent. Et il se trouve que Gilbert le connaît personnellement. Jacques (le prénom a été changé) lui remet les clefs d’un autre local, destiné à l’hébergement des secouristes de montagne, ai-je cru comprendre. Je regrette que ledit Jacques ne soit pas présent, que je puisse le remercier avec toute la chaleur dont je serais capable. Nous le ferons quelques jours plus tard, après que j’aie demandé à Gilbert s’il y avait un moyen de le remercier discrètement. Un cadeau lui sera opportunément offert.
Le local se situe du côté du sommet nord, et donne sur la passerelle reliant les deux pitons rocheux principaux de l’Aiguille. Le projecteur qui éclaire l’endroit se situe juste au-dessus des fenêtres. Un unique convecteur électrique, vétuste mais en ordre de marche, entretiendra une température de l’ordre de 5 à 7°C. Des couchettes sommaires sont alignées, et des couvertures sont à notre disposition. Nous ne ferons pas les difficiles. Habillés suffisamment chaud, avec deux ou trois couvertures, nous avons de quoi passer une nuit relativement confortable, aux antipodes des cauchemars glacials qui commençaient à m’envahir l’esprit. Côté nourriture, il ne nous reste que deux ou trois barres chocolatées et quelques pâtes de fruit. Peu importe ! Arrosées des dernières gouttes du contenu des gourdes, elles feront office de dîner.
Bien fatigués, nous allons somnoler jusqu’au lendemain. Auparavant, nous sortons l’un après l’autre satisfaire des besoins naturels sur la passerelle. C’est ainsi que j’accomplis l’exploit évoqué au chapitre précédent
Suite épisode 9.