22 août 2012

Topos-guides récents au Mont-Blanc

Si j'ai décidé d'être éditeur, c'est bien sûr parce que je suis passionné de livres – de quasiment tous les genres de livres. Ayant eu la chance de pratiquer l'alpinisme, à un niveau modeste et sous la conduite de guides de haute montagne, j'ai toujours été intéressé par ce qu'on appelle les “topo-guides”. Ces ouvrages spécialisés recensent les itinéraires tracés par les alpinistes sur les parois des montagnes. Outre leur intérêt documentaire, ils permettent de “mieux contempler” ces montagnes, en décelant sur leurs flancs les cheminements imaginés et suivis par leurs “ouvreurs” – ceux qui inaugurent un itinéraire en le gravissant, ce qu'on appelle une “première”.


Parmi les grands auteurs de topos-guides, trois noms s'imposent : Michel Piola, auteur de plusieurs centaines de voies d'escalade rocheuse nouvelles durant les trente dernières années, et de nombreux topos dès le début des années 80 ; François Damilano, spécialiste de la glace et du mixte, dont la maison d'édition, JMEditions, a publié de magnifiques topos sur les cascades de glace et le massif du Mont-Blanc ; Giovanni Bassanini, guide à Courmayeur (Italie), qui a complété les volumes de Michel Piola en publiant trois topos-guides dans les années quatre-vingt-dix.

Giovanni Bassanini et Lamberto Camurri ont sorti tout récemment Mont-Blanc Super Cracks, sous-titré “les fissures les plus spectaculaires du Mont-Blanc”. Ce copieux ouvrage de 250 pages en couleur présente quelque 70 itinéraires de très haute difficulté, en axant leur sélection sur la présence de fissures – par opposition aux voies à dominante de dalles. Le travail a été colossal : non seulement les auteurs fournissent les tracés des itinéraires (dessin détaillant chaque longueur des voies), mais ils les annotent avec leur difficulté ainsi que le matériel d'assurage qu'il faut éventuellement y placer, et complètent l'information par des photos montrant en gros plan les longueurs-clés de chaque itinéraire. Une introduction présente chaque voie et ses caractéristiques, avec des précisions sur les longueurs de fissures : comment sont-elles gravies, avec quelle technique (dülfer, coincements de mains, de doigts, opposition…).

Les précédentes publications de Bassanini n'étaient parues qu'en italien. Il n'était guère difficile pour un francophone, quitte à utiliser ponctuellement un dictionnaire, de comprendre la teneur des textes et topos, le vocabulaire spécialisé de l'alpinisme restant somme toute d'une ampleur limitée. Au passage, j'avais remarqué que l'italien, quoique proche du français, ne correspondait pas littéralement mot pour mot à notre langue maternelle. De petites différences subtiles, liées à l'étymologie ou à l'usage, apparaissent au fil des pages, souvent plaisantes. C'est ainsi que l'italien parle de “via affollata” non pour désigner un itinéraire “affolant”, mais bien une voie d'ascension où il y a foule. De même, si les Français utilisent le terme “rimaye” (mot savoyard) pour désigner la crevasse qui s'ouvre au pied des couloirs de neige et glace à la rupture de pente, les Italiens préfèrent le terme “crepaccia terminale” (crevasse terminale, ou, mieux, finale), alors que les Anglo-Saxons ont adopté le terme… allemand, “bergschrund” ! La fameuse technique d'escalade dite de “coincements” est désignée en italien par “incastri” (proche de notre “encastrement”). Les “dalles” sont des “plaqua”, ce que l'on comprend aisément, et, dans le même ordre d'idée, une “arête” se dit “cresta” (à ne pas traduire par “crête”)…

Super Cracks est sorti en trois langues : italien, anglais et français. Je me suis procuré la version française, dans laquelle la traduction joue avec les petites différences évoquées ci-dessus, ce qui donne une tonalité amusante – et somme toute attendrissante – à certains commentaires ! Loin de nous l'idée de critiquer ces petits défauts qui ne sont que l'expression d'une enthousiasme débridé confronté à l'ampleur titanesque de la tâche !

Si vous vous intéressez à l'histoire de l'escalade dans le massif du Mont-Blanc – ou, raison de plus, si votre niveau technique atteint les 6c et 7a – procurez-vous Super Cracks, pourquoi pas en langue italienne, d'ailleurs : vous ferez d'une pierre deux coups, si l'on peut se permettre cette expression en escalade ! Découverte de l'italien et des voies décrites, au premier rang desquelles des nouveautés comme la voie Cheraz (Tour Ronde), Le Trésor de Romain (Grand Capucin), Ave Caesar (Petit Clocher du Portalet) ou Ciao Vince (La Vierge d'Argentière).

Jean-Luc Tafforeau, 22 août 2012