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12 avril 2020

“Le Champion” (James Holin)

Le Champion, une nouvelle de James Holin

Pour Paulina

[Texte mis aimablement à disposition du public par l'auteur et les éditions AO, le 12 avril 2020. Illustrations : photos libres de droits issues de pixabay.com, cf. les liens sous chaque photo]

Voir la page de James Holin sur le site des éditions AO.

Se lever



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La lumière matinale, douce, presque laiteuse, qui pénétrait dans la chambre, coulait depuis les épais rideaux pour s’enfoncer profondément dans la moquette. Antonio da Fonseca ouvrit péniblement un œil tout en conservant le second bien fermé. Il porta doucement le bout de ses longs doigts sur ses pommettes saillantes. Ce rituel d’origine inconnue l’aidait à se réveiller.

L’esprit du Brésilien était comme vidé. À force de changer de continent, de pays, de ville et d’hôtel tous les quinze jours depuis quinze ans, da Fonseca ne savait jamais vraiment où il se trouvait au réveil. Il se concentra pour rassembler ses idées. Progressivement, les éléments se remirent en place comme les pièces d’un puzzle.

On était le 10 juillet 1988, le jour de la course. Dans quelques heures, au début de l’après-midi, da Fonseca serait à bord de la Ferrari n°1 sur la grille de départ. À la cinquième position. Il partirait pour les soixante-cinq tours d’un circuit de haute vitesse de quatre kilomètres sept. Le Grand Prix de formule 1 de Grande-Bretagne à Silverstone.

Les maudites images revinrent alors subrepticement. Il aurait espéré y échapper, au moins en cette journée, mais non. La même vision depuis quinze jours le poursuivait. Des images surgies de nulle part, qui s’imposaient, d’abord la nuit pendant le sommeil, puis progressivement le matin et maintenant à tout moment de la journée, en fait quand bon leur semblaient.

C’était toujours le même film. Da Fonseca se retrouvait au soixante-deuxième tour de ce grand prix de Grande-Bretagne, à trois encore de l’arrivée. Il était en deuxième position, juste derrière la Lotus noire de Nigel Evans. Sa Ferrari rutilante pourchassait le Britannique depuis plus d’une heure vingt et le rattrapait enfin. S’efforçant de le coller au plus près, il cherchait à le dépasser par tous les moyens, à l’affût de la moindre erreur de son concurrent.

Da Fonseca ferma son œil ouvert, inspira profondément en creusant son ventre de chat maigre puis expira bruyamment tout l’air de ses poumons pour chasser ces images au plus loin. Quasi simultanément, il bondit d’un bloc et se réceptionna silencieusement sur ces deux jambes fléchies. Il se retourna lentement et se dirigea vers la salle de bain, enfonçant avec bonheur ses pieds dans la moquette onctueuse.

Face à lui, dans la glace, son regard pénétrant observait un athlète svelte, à la peau cuivrée et aux muscles saillants. Un champion de trente-trois ans, à la chevelure noire, indomptée, dense et bouclée. « Il a la bouche charnue, le teint hâlé et le nez droit, regardez donc son profil, c’est un vrai pâtre grec », disait sa mère en l’embrassant quand il revenait à Noël les bras chargés de cadeaux dans la riche propriété familiale de Sao Paulo. Pour tous, ses coéquipiers, le public, les journalistes et ses adversaires, c’était un coureur hors pair, au style flamboyant, un seigneur qui avait remporté trois fois, avec classe, le Championnat du monde de formule 1.

Le Brésilien continuait à se fixer droit dans les yeux comme s’il eût voulu s’impressionner. Il avança son visage vers la glace et se promit, une nouvelle fois, en susurrant entre ses lèvres mobiles que ces satanées images ne l’empêcheraient pas d’accomplir son devoir. Et, son devoir de champion c’était de courir, de se battre et de gagner. Da Fonseca savait depuis son enfance, depuis que son père avait perdu l’usage de ses jambes lors d’une chute de cheval, que faire son devoir n’était pas facile, mais était la seule chose à faire pour vivre décemment.

Conserver son courage



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Le briefing d’avant course aurait dû commencer depuis cinq minutes. On attendait le directeur technique de l’écurie occupé à régler avec le second coureur un problème inopiné d’amortisseur. La dizaine de participants prévus à cette réunion demeuraient debout, à l’arrière de la salle. Ils chuchotaient, jetant à la dérobée des coups d’œil à da Fonseca.

Leur champion en tongs, short blanc et t-shirt bleu, une casquette rouge sur la tête, s’était isolé. Assis seul au premier rang, les yeux fermés, il visualisait le circuit. Légèrement avachi, les épaules rentrées, les bras resserrés, adoptant au mieux la position qu’il occupait dans le cockpit exigu de sa voiture, ses mains actionnaient le volant ergonomique tandis que ses doigts changeaient les sept vitesses de la boîte séquentielle et que ses pieds accéléraient et freinaient.

La femme du Brésilien, Kate Lawson, téléphonait à proximité. Elle accompagnait Antonio à presque tous les grands prix depuis qu’elle ne défilait plus. Ce mannequin australien, blond et élancé, au visage fin et au teint lumineux avait fini par aimer, réellement, cet homme droit, calme et posé, qui se métamorphosait en un compétiteur fougueux, débordant de panache et d’impétuosité une fois en compétition.

Alors que da Fonseca abordait l’entrée du long virage de Woodcote, les images l’assaillirent à nouveau. À deux tours de l’arrivée, la pluie s’était mise à tomber violemment. Profitant d’un changement de vitesse hasardeux de son adversaire, il parvenait enfin à dépasser Nigel Evans en projetant sur ce dernier au passage une magistrale trombe d’eau. Il déposait la Lotus noire à plus de trois cent cinquante kilomètres-heure sur la ligne droite de Pit straight et prenait la tête de la course dans un océan de drapeaux rouges, de hurlements et de cornes de brume.

Da Fonseca rouvrit subitement les yeux. Il ne fallait pas y penser. Il devait trouver en lui la force mentale d’y échapper. De toute manière, qu’il y pensât ou pas, sa décision était prise. Il participerait à la course. Antonio da Fonseca esquissa un sourire en voyant entrer dans la salle le directeur technique et le second coureur de l’écurie, le Belge Tony Hubriant.

Puiser au fond de soi



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Da Fonseca aimait ce lieu de concentration extrême qu’était le vestiaire. Il s’y sentait bien. Seul, assis sur un banc de bois verni, baignant dans une lumière tamisée quasi sépulcrale, revêtu de sa combinaison écarlate, son casque jaune et vert dans les mains, ses yeux fixaient un horizon inconnu et inatteignable. Il savourait le silence, une torsion brûlante dans le ventre. À ce stade, il ne visualisait plus rien. Il ne pensait plus à rien. La totalité de son énergie était dirigée vers un point virtuel.

Dès le début du phénomène, il avait évoqué ces images obsédantes à son préparateur physique et mental. Ce dernier lui avait alors dit de ne pas les refouler, mais de les laisser glisser autour de lui, sans s’y arrêter, comme un fluide. « De l’eau sur les plumes d’un canard », avait-il dit.

Ces images ne respectaient rien. Elles s’invitaient à nouveau, n’hésitant pas à profaner ce lieu sacré, Da Fonseca tenta de les faire glisser, mais n’y parvint pas. Le Brésilien entamait le soixante-troisième et avant-dernier tour. Nigel Evans était désormais loin derrière lui. La victoire était à portée de main. Le champion conduisait de manière légère, fluide, très facile. Il entrait naturellement dans les courbes et en sortait avec grâce. Ses trajectoires étaient d’une pureté parfaite.

Le Brésilien se leva brusquement, car il refusa de voir la suite. C’était un champion, il devait concourir quoi qu’il en soit. Il devait gagner, c’était sa mission, sa vocation. Il prit ses gants blancs, mit sa casquette rouge et plaça son casque sous son bras. Quand il ouvrit la dernière porte, celle qui donnait sur la piste, il fut accueilli par une énorme clameur et la lumière aveuglante du soleil. Les images s’évanouirent.

Courir coûte que coûte



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Le tour de chauffe venait de s’achever. Le soleil tapait fort et déjà da Fonseca sentait la sueur lui couler le long du dos. Sa combinaison lui collait à la peau. Il fallait qu’il pense à boire régulièrement par la canule qui traversait la partie inférieure de son casque.

Il se signa et ses mains avancèrent doucement sur le volant. Il y posa d’abord le bout de ses longs doigts comme il faisait chaque matin sur ses pommettes saillantes puis plaça ses paumes dans les emplacements moulés à cet effet. Ses yeux se levèrent vers le feu tricolore.

Le feu rouge s’alluma et les moteurs se mirent à vrombir dans un vacarme assourdissant. Quand il passerait au vert, il faudrait vite enclencher les vitesses, les unes après les autres, déboîter, se faufiler et remonter le plus à l’avant possible. Un bon départ était fondamental. Da Fonseca en grand professionnel le savait, mieux que personne. De sa cinquième position, il faudrait qu’il remonte au moins jusqu’à la troisième place au terme du premier tour s’il voulait avoir une chance de gagner la course.

Le feu ne resta rouge que quelques secondes, mais cela laissa suffisamment de temps aux dernières images du rêve pour se faufiler. « Non, pas maintenant ! » murmura entre ses dents le Brésilien envahi par la rage.

Il dut se voir alors une nouvelle fois sur la piste détrempée, à la sortie du virage de Stowe, le septième virage de ce soixante-cinquième et dernier tour qui devait l’emmener vers la victoire. Il vit sa roue avant mordre le vibreur bicolore marquant la bordure extérieure du virage, sa monospace s’envoler puis retomber sur le tarmac et prendre feu. Il vit ses bras ses se lever devant sa visière pour protéger son visage.

Feu vert. Da Fonseca passa la première, la deuxième et la troisième dans la foulée. En quelques secondes, il était déjà remonté de deux places. À peine cinq cents mètres et il était désormais troisième derrière Manfred et Evans. Il fonçait. Tout se passait comme dans son rêve. Il roulait vite, très vite, sans se poser de questions, sans hésitation. Pourtant à chaque tour, il avait un pincement au cœur quand il abordait le sinistre virage de Stowe. Il se disait à chaque fois que cela se passerait là, à cet emplacement précis.

La réalité rattrapait peu à peu son rêve. Dans la tête de da Fonseca, les images n’apparaissaient plus maintenant qu’en léger décalé. Les deux flux finirent par se superposer parfaitement pour ne faire plus qu’un.

Nigel Evans était le seul encore devant lui à trois tours de l’arrivée. Da Fonseca se rapprocha au plus près de la Lotus noire du Britannique et scruta du coin de l’œil les nuages gris qui s’amoncelaient. Il savait déjà qu’il ne changerait pas de pneus. Comme prévu, le Brésilien doubla Evans à l’avant-dernier tour. La pluie se mit alors à tomber sans que le champion ne marque le moindre étonnement.

Faire confiance à son étoile



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Dans le dernier tour, seul en tête, il aborda la longue ligne droite de Hanger Straigth qui débouche sur le virage de Stowe en sachant qu’il allait bientôt mourir. Il eut une pensée pour sa femme Kate et leur fils unique Ruben. Il les imagina heureux dans la grande propriété de Sao Paulo avec sa mère et son père sur son fauteuil roulant. Pourtant, il ne céda en rien à la peur et maintint ferme son pied sur l’accélérateur.

De manière inattendue, à cent mètres de l’entrée du virage de Stowe, des vibrations violentes secouèrent l’habitacle. Le pneu avant droit de la Ferrari venait d’éclater en roulant sur un débris en carbone abandonné par un concurrent. Da Fonseca décèlera, passant brusquement de près de quatre cents à cent kilomètres-heure. Avec une prouesse de virtuose, le champion parvint à stabiliser son véhicule. Les roues du bolide s’enfoncèrent dans le sable du bas-côté et s’immobilisèrent.

Da Fonseca retira son volant, dégrafa son harnais et s’extirpa rapidement du véhicule. Il enjamba la rambarde métallique de sécurité et s’assit sur le talus. Il ne comprenait pas. C’est alors qu’il vit passer dans une trombe d’eau son poursuivant Nigel Evans. Il se prit la tête entre les mains et ferma les yeux. De là où il était, Da Fonseca put entendre la clameur du public qui accueillait la victoire du Britannique. Il sourit, croyant un moment qu’elle lui était adressée.

22 mars 2020

L'ascension du “Fil à plomb”, en février 1992

Les éditions AO mettent en ligne un récit d'alpinisme signé de Jean-Luc Tafforeau (qui est aussi le gérant de la maison d'édition, et abandonne donc sans problème ses droits d'auteur ;-).
Ce récit relate l'ascension d'un itinéraire de glace, la voie “Le Fil à plomb”, située aux confins de l'aiguille du Midi dans le massif du Mont-Blanc. C'était un 29 février de l'année 1992, bissextile… tout comme cette année 2020.

Vous pouvez le lire par chapitres successifs, dont le sommaire figure ci-dessous :

• Le récit proprement dit démarre ici, par l'épisode 1 : 29 février 1992, 17 heures
Épisode 2 : “Jean-Luc”
Épisode 3 : 28 février
Épisode 4 : Départ
Épisode 5 : Au pied du mur
Épisode 6 : La dernière benne
Épisode 7 : Pisser depuis la passerelle
Épisode 8 : Bloqués au sommet
Épisode 9 : La boucle est bouclée


La face nord de l'aiguille du Midi, en été. L'itinéraire du Fil à plomb passe tout à gauche, commençant à la deuxième flèche, la longueur clé est à la troisième, la sortie sur l'arête à la quatrième, arête qu'il faut remonter vers le sommet, à droite. La face mesure 1200 mètres de haut, soit quatre Tour Eiffel (cliquez sur l'image pour zoomer).

Bonne lecture, chers toutes et tous, que ce récit vous transporte loin des affres de ce mois de mars 2020 !

ANNEXES : Documentation & précisions

La description de l'itinéraire et des comptes rendus d'ascensions figurent sur le site Camp-to-Camp à cette adresse : https://www.camptocamp.org/routes/54779/fr/rognon-du-plan-le-fil-a-plomb

Si vous souhaitez vous rendre compte de l'ambiance de l'ascension, vous pouvez regarder les vidéos publiées par l'excellente chaîne d'alpinisme TVMountain :

• L'une datant de mars 2012 : https://youtu.be/dAvxrnjw8Pc
• L'autre datant d'avril 2008 : https://youtu.be/ylqS065Tan4

Pour la petite histoire, j'avais envisagé de publier ce récit dans la collection “Une journée particulière” des éditions AO, lancée en 2009-2010, avant de préférer donner la priorité aux autrices et auteurs que je commençais à éditer. Pour le titre, j'avais songé à “De fil en Aiguille”, me référant au “fil” à plomb et à “l'aiguille” du Midi. Il deviendra ma suggestion à Jean-Claude Charlet au moment de publier son premier livre d'alpinisme, “De Fils en Aiguilles”, le mot “fils” faisant référence cette fois à son statut de “fils de…” Armand Charlet.

Jean-Luc Tafforeau, 22 mars 2020

18 février 2020

Où l'on dénote ce qui détonne

Parmi les coquilles fréquemment rencontrées dans les textes que nous révisons, mais aussi ceux que nous lisons pour le plaisir, figure cette confusion extrêmement fréquente entre trois verbes : dénoter, détoner et détonner. Nous venons de la retrouver dans ce livre de souvenirs de Jean-Paul Belmondo, Mille vies valent mieux qu'une (Fayard, 2016 et Le Livre de Poche) à deux reprises (*). De quoi douter !

Ouvrons un dictionnaire…

Dénoter
Indiquer, désigner par quelque caractéristique. Exemple : “Son attitude dénote un certain courage.”
Note : ce verbe est transitif. On ne peut “dénoter” tout court…

Détonner
Sortir du ton, autrement dit : chanter ou jouer faux.
Plus largement : ne pas être dans le ton, ne pas être en harmonie avec un ensemble.
Une couleur peut ainsi détonner avec d'autres, une phrase détonner dans un discours par rapport à son ton d'ensemble…

La confusion rencontrée à de si nombreuses reprises consiste à utiliser le verbe dénoter alors que le sens est à l'évidence détonner. Peut-être parce que dénoter pourrait faire penser à “ne pas être dans la note” (de musique), allez savoir ?

Détoner
Exploser avec bruit. Un mélange gazeux peut soudain détoner. “Détonation”, utilisé correctement, en vérifie la pertinence.

À noter, donc, qu'il nous faut sans cesse annoter les textes relus, en relevant les usages incorrects de ces trois mots.

(*) Par exemple page 101 de l'édition poche : “Vieux sociétaire de la Comédie-Française, […] il dénote par son goût pour la marginalité, l'originalité.”

03 décembre 2019

Féminisation des noms de fonctions et de métiers

Dans Libération du 27 novembre 2019, Claire Gratias publiait une tribune dans la rubrique “Idées”, intitulée “Pourquoi je ne suis pas une ‘autrice’’’. Une contribution au débat sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions qui mérite attention, au-delà des postures militantes trop souvent sans nuances – et surtout sans bienveillance à l'égard des argumentations, par essence multiples.


Une recherche sur Wikipédia nous apprend que “Claire Gratias, née en 1964, est une autrice jeunesse française. Elle a longtemps été professeure de Lettres dans le secondaire”. Nul doute que la formulation de l'encyclopédie collaborative ne lui convient guère…

Pourquoi les mots “auteure” ou “autrice” provoquent-ils chez elle une telle réticence ? s'interroge-t-elle.

En premier lieu pour des raisons de musicalité de la langue, notion subjective s'il en est, mais qui ne manque pas de pertinence, comme le fait que “autrice” lui fait penser à “motrice” ou à “eau triste” (très poétique !).

Claire Gratias poursuit en notant que “si j'étais un homme, je me serais peut-être empressé d'adopter ‘écrivaine’ ou ‘autrice’ afin de prévenir toute accusation de sexisme”. En tant qu'éditeur (homme, donc), nous ressentons la même injonction… Puis elle rétorque : “Mais je suis une femme, dont écrire est le métier, je me dois donc d'être d'accord avec ce nouvel usage, ma réticence devenant suspecte. Or, ce qui me gêne, ce n'est pas que la langue évolue, c'est cette pression exercée au nom de la bien-pensance.” Quand on parle d'injonction…

Les phrases les plus convaincantes de l'article sont à notre avis celles-ci :

“Il me semble au contraire que l'égalité entre les hommes et les femmes sera avérée le jour où la féminisation systématique ne sera plus nécessaire. À l'instar de la parité, elle ne fait selon moi que souligner l'impuissance d'un corps de métier à accéder à la même considération que son pendant masculin.”


Et de citer Audrey Jougla, qui affirmait son “désir d'égalité qui revendique l'utilisation du masculin par le féminin pour lui faire la nique !”, une façon plus caustique d'aller à contre-courant, mais non moins remarquable (au sens propre de l'adjectif).


Nous terminerons sur une incursion dans la langue anglaise, qui ajoute dans certains cas les pronoms personnels comme s'ils étaient des adjectifs, par exemple  “a she-wolf” pour une louve. À notre sens, une femme écrivain est avant tout écrivain, et pas “seulement” une “she-writer”.

Cette nouvelle pièce méritait d'être versée au dossier de la féminisation des noms de métiers et de fonctions.

08 septembre 2016

Mon coup de cœur de la rentrée

« Les éditions AO ont retenu avec émotion et plaisir les “métaphorismes” de Renaud Weiss pour le nouveau volume de leur collection “RIMOTISES”, à paraître dans quelques semaines. Il  vous est proposé en précommande, donnant droit à des exemplaires numérotés. Ce “coup de pouce” nous sera précieux pour assurer le meilleur démarrage à ce beau projet éditorial, mon coup de cœur de la rentrée. » Jean-Luc Tafforeau, gérant

Ce mot est étonnant, ne serait-ce que parce qu’il contient à la fois le mot « mot » et le mot « rime ». Pas mal pour un seul mot ! Et il rime avec « surprises », ces associations que les mots suscitent, aussi riches qu’inattendues…

Précommandez le livre avant le 25 septembre et recevez votre exemplaire numéroté !
Livraison mi-octobre

ET POUR TOUT DIRE
les “métaphorismes” de Renaud Weiss

Renaud Weiss a composé une série de textes brefs – jusqu'à quelques dizaines de lignes – qui se distinguent par un sens aiguisé de la formule et des enchaînements. Il joue avec les mots, alternant gravité et légèreté, toujours avec humour – et une franchise désarmante. Ces “métaphorismes” lui permettent de "tout dire” (ou presque) sur la vie, la mort, le rêve, l'amour et… l'écriture.
Une expérience de lecture inédite !

Consultez la page du livre sur le site AO.

UN TRÈS BEL OBJET-LIVRE

• Exemplaires numérotés en première page
• Couverture à rabats
• Format étroit adapté aux “métaphorismes” (12 x 20,5 cm)
• Papier intérieur ivoire épais pour le confort de lecture
• Mise en pages sophistiquée
• 240 pages, dos carré collé
• Proposé au prix public TTC de 18 €
• Participation aux frais de port réduite : 1 €

Ci-contre : le “prototype” du livre, réalisé par l'imprimeur

Plusieurs modalités pour commander
• Téléchargez le bon de commande (règlement par chèque, encaissement après expédition)
• Payez par PayPal sur la page du livre (encaissement immédiat par construction)
• Adressez un simple mail à commande[at]ao-editions.com en indiquant vos nom et prénom, le nombre d'exemplaires souhaités et l'adresse postale de livraison. Vous recevrez le(s) livre(s) accompagné(s) d'une facture

Quelques exemples de “métaphorismes”
S’il m’arrive de peindre les choses en noir, 
je ne fais jamais sans blanc.
Cultiver l’absurde pour en tirer toujours 
un petit gain de folie !
Ce qu’il y a de beau dans l’écriture, 
c’est ce qui se passe entre les lignes 
(tout le reste n’est que mythes et ratures).
J’ai toujours préféré l’orage (eau des espoirs).
Les histoires d’humour finissent bien, 
en général.


Pour terminer, un aperçu de la “lecture intuitive” qui est proposée aux lectrices et lecteurs sur les pages paires (à gauche) du livre, tandis que les pages impaires vous offrent une lecture directe…






03 juin 2016

La Loi du plus faible, de John Grisham

La Loi du plus faible, de John Grisham, date de 1998 (The Street Lawyer). Le roman a donc plus de vingt ans ; il n'en reste pas moins d'actualité. Une fois de plus, le célèbre romancier nous plonge dans le monde des avocats américains. La profession, de ce côté de l'Atlantique, diffère largement de la conception que nous pouvons en avoir en France. Extrêmement nombreux, les avocats des États-Unis sont pour la plupart des hommes d'affaires, quitte à ne jamais plaider. Les quelque 800 “lawyers” du cabinet Drake & Sweeney travaillent 80 heures par semaine, espérant un jour devenir “associés” et gagner plus d'un million de dollars par an.

La Loi du plus faible débute par une scène spectaculaire de prise d'otages. Un SDF noir parvient à enfermer une douzaine d'avocats du cabinet dans une salle de réunion, et à leur faire prendre conscience de ce qu'il a subi, jeté à la rue suite à une expulsion musclée organisée frauduleusement par l'un des avocats de Drake & Sweeney. Parmi les otages, Michael Brock ignore tout de ces malversations. Échappant de peu au tir d'un sniper de la police qui abat le preneur d'otages, il va soudain prendre conscience de l'absence de sens de sa carrière… et devenir un “avocat des pauvres”.

Grisham nous emmène alors dans un suspense bien mené, Me Brock tentant de rendre justice aux déshérités expulsés illégalement, engageant un bras de fer risqué avec son ancien employeur, tout en intervenant pour restaurer les droits de ceux qu'il a désormais vocation à aider. C'est documenté, précis, conduit avec un sens du scénario devenu la marque de fabrique de l'auteur. Au passage, nous apprenons moult choses sur la société américaine, y compris… les prix, salaires, tarifs, tant les Américains s'attachent toujours à chiffrer ce qu'ils évoquent. Exemple : un avocat comme Michael Brock facture son temps 300 dollars de l'heure (il y a près de vingt ans !), y compris pour un déjeuner avec un collègue pour discuter du dossier d'un client (deux intervenants plus… le prix du repas).

Le coin du réviseur de texte
Comme souvent, nous ajoutons nos notes de “lecteur-relecteur”. La perfection n'est pas de ce monde, la formule est connue. Découvrir de rarissimes “coquilles” dans ce livre nous rassure, en quelque sorte, sur notre imperfection, et nous fournit quelques pistes de vigilances futures.
Les numéros de pages se réfèrent à l'édition 2001 (réimpression 2014) en collection Pocket, numéro 11157.
Se méfier des noms propres
On croit toujours que les noms propres – personnages, lieux – n'ont pas besoin d'être vérifiés. Erreur ! Au contraire, nous sommes tellement habitués à les lire qu'on peut oublier des lettres parasites. Page 55, la ville de Washington est orthographiée “Washinghton”. Pas si facile à repérer…
Apostrophes et guillemets
Page 115, une double apostrophe s'est intercalée dans “j''ai rouvert la mystérieuse chemise”. Encore plus ardu à repérer. Ce genre d'incident est plus courant qu'on ne pense…
Qui était Madeleine ?
Page 230, il ne s'agit pas d'une coquille, mais au contraire d'un truc à retenir. Vous connaissez peut-être l'expression “pleurer comme une madeleine”. Attention ! Il ne s'agit pas d'une madeleine de Proust (le gâteau, qui ne pleure pas), mais bien d'une femme, Madeleine, avec une majuscule, en référence à Marie-Madeleine pleurant au pied du Christ en croix.
Les cabinets d'affaires ont des ailes
Page 334, une erreur étonnante : “dans le monde implacable des gros cabinets d'allaires”. Nul doute qu'un correcteur orthographique l'aurait identifiée. Une allusion prémonitoire et cachée au personnage de Connelly, l'avocat Michael Haller ?

17 avril 2016

De l'importance de la ponctuation

Le dernier roman de John Grisham, L'Insoumis, met en scène un nouveau personnage, Sebastian Rudd, “avocat des causes perdues”. Il ressemble par bien des aspects à Mickey Haller, l'avocat récurrent de Michael Connelly, ne serait-ce que par l'emploi d'un véhicule comme bureau ambulant (un fourgon Ford, plus spacieux que la Lincoln Town de Haller).
Contrairement à Connelly, Grisham traite plusieurs affaires dans ce  roman (444 pages), organisant son livre à la façon d'une série télévisée : chaque affaire constitue un épisode, sans être toujours résolue immédiatement, tandis que la vie personnelle de Sebastian Rudd évolue en toile de fond. Dans le dernier tiers du livre, ce sont carrément trois affaires qui se vont se télescoper, avec un sens du scénario affûté et brillant.

La lecture de ce roman, agréable et ludique, a aussi été l'occasion de dénicher deux exemples montrant combien la ponctuation est importante pour le lecteur (surtout s'il lit un peu trop vite, comme c'est souvent le cas lorsque le suspense l'éperonne).

Un partenaire en tenue rose ?

Page 310, Sebastian Rudd vient d'apprendre que son fidèle Partner a été hospitalisé :
Dix minutes plus tard, j'entre aux urgences de l'hôpital et dis bonjour à Juke Sadler, l'un des avocats les plus sordides de la région. Juke rôde dans les salles de soin chassant le client.
Un peu plus bas, ledit Juke Sadler s'adresse à Rudd  :
– Ton gars est au bout du couloir, m'annonce-t-il en tenue rose, déguisé en retraité qui fait du bénévolat.
Si vous lisez vite, vous vous demanderez sûrement que fait Partner déguisé en tenue rose dans cet hôpital. Erreur, les amis ! Observez bien la phrase : aucune virgule ne sépare “m'annonce-t-il” et “en tenue rose”, ce qui signifie que c'est Juke Sadler, l'avocat “sordide”, qui est déguisé en retraité. Il en aurait été autrement si la ponctuation avait été la suivante, laissant supposer que Sadler continue de parler après l'incise “m'annonce-t-il” :
– Ton gars est au bout du couloir, m'annonce-t-il, en tenue rose, déguisé en retraité qui fait du bénévolat.
Cette subtilité de ponctuation tient également à la façon de typographier les dialogues. Deux méthodes se pratiquent en effet : de simples paragraphes précédés d'un tiret, comme ici, ou bien l'emploi de guillemets, qui permettent plus aisément de distinguer paroles et texte courant. Dans ce second parti typographique, la phrase aurait ressemblé à ceci, moins ambiguë :
« Ton gars est au bout du couloir », m'annonce-t-il en tenue rose, déguisé en retraité qui fait du bénévolat.
Il parle… ou il pense ?

Un autre exemple des ambiguïtés que peuvent causer les absences de guillemets de dialogues figure page 330. Précisons tout d'abord que le roman est rédigé à la première personne, et au présent de narration. C'est Sebastian Rudd qui s'exprime dans le roman. Répondant à un personnage, il dit ceci (nous intégrons les retraits de premières lignes de paragraphes) :
   – Je ne signe pas tant qu'ils ne sont pas mis dehors.
   Pourquoi attendre ? Je ne vois pas ce qu'il y a de compliqué à se débarrasser de ces types. C'est ce que veut tout la ville.
Quel est le sens du retour à la ligne après “mis dehors” ? Nombre de lecteurs supposeront que Rudd déplore qu'il faille attendre, en tant que récitant. La suite nous apprend le contraire, car la réponse est :
– Et nous aussi, rétorque le maire.
Le maire a donc entendu “C'est ce que veut toute la ville”, et précise que “lui aussi” (et ses administrés).
L'imprécision vient ici du retour à la ligne, qui semble marquer une pause de Rudd. Il aurait été préférable de composer ainsi :
– Je ne signe pas tant qu'ils ne sont pas mis dehors. Pourquoi attendre ? Je ne vois pas ce qu'il y a de compliqué à se débarrasser de ces types. C'est ce que veut tout la ville.
Ici également, des dialogues “à guillemets” auraient évité l'ambiguïté, soit, selon les deux hypothèses en lecture courante :
(1)  « Je ne signe pas tant qu'ils ne sont pas mis dehors. »
Pourquoi attendre ? Je ne vois pas ce qu'il y a de compliqué à se débarrasser de ces types. C'est ce que veut tout la ville.
Dans ce premier cas, Rudd parle, puis insère une remarque, pensée ou analyse.
(2)  « Je ne signe pas tant qu'ils ne sont pas mis dehors. Pourquoi attendre-? Je ne vois pas ce qu'il y a de compliqué à se débarrasser de ces types. C'est ce que veut tout la ville.
 – Et nous aussi », rétorque le maire.
Dans ce second cas, Rudd continue de parler, sans doute aucun.
Enfin, si le roman avait été écrit au passé, et non au présent de narration, les deux hypothèses auraient été aisées à distinguer, par exemple :
 – Je ne signe pas tant qu'ils ne sont pas mis dehors.
Pourquoi attendre ? Je ne voyais pas ce qu'il y avait de compliqué à se débarrasser de ces types. C'était ce que voulait tout la ville.
L'avocat a de saines lectures

Un clin d'œil pour terminer, montrant que Grisham n'hésite pas à rendre hommage à son homologue et concurrent (page 230) :
Je paie en liquide toutes mes chambres de motel, mange peu et tète du bourbon jusque tard dans la nuit avec pour compagnie le dernier James Lee Burke ou Michael Connelly.
Quelques joyeusetés orthographiques dans ce court paragraphe : motel (au singulier), ne porte pas de circonflexe, contrairement à “hôtel” (c'est un mot anglais). On “tète” du whisky, on ne le “tête” pas (comme on le voit assez souvent). Le “bourbon” n'a pas de majuscule, c'est un vin, comme “un bordeaux”, par exemple. Et “Michael” ne porte pas de tréma – un prénom américain, langue qui n'emploie pas ce signe…

Ces chipotages de compétition vous auront donné un aperçu des états d'âmes et tourments de l'éditeur-réviseur-correcteur (tourments qui auront peut-être causé des coquilles dans cet article de blog).

21 février 2016

Orthographe : le retour d'un vieux serpent de mer

Réformer l'orthographe ? La “rectifier” ? Soudain, un vieux serpent de mer datant d'un quart de siècle ressurgit ! Aux éditions AO, nous restons sceptiques…

1. En 25 ans, personne — ou presque – n'a appliqué ces nouvelles règles. La preuve par l'usage (en l'occurrence le “non-usage”) que l'idée n'a pas eu de suites.

2. Ces velléités de “réformer” témoignent d'un symptôme technocratique fréquent dans notre pays. L'enfer est pavé de bonnes intentions. On croit simplifier… et on complique !

Souvenez-vous de l'autoentreprise. L'idée était de simplifier la tâche de ceux qui souhaitent se “mettre à leur compte”. Qu'en a-t-il résulté ? L'ajout d'un nouveau statut venant se superposer à ceux qui existaient. Une couche de plus dans le mille-feuilles. Distorsions de concurrences, effets de seuils (l'exonération de TVA), irréversibilité du basculement dans le régime général… que des effets pervers.
Il en est de même pour l'orthographe. D'un coup d'un seul, voilà qu'il existerait deux orthographes pour plus de 2000 mots de la langue française ! Et on appelle ça une “simplification” ?

3. L'idée même de réforme repose sur le fantasme de la “table rase”. Comme si, du jour au lendemain, on décidait de mettre au feu tous les livres existants (et toutes les pages web à la corbeille informatique), pour, soudain, les remplacer par des textes “conformes” à l'ordre décrété. Comme personne n'osa agir ainsi (ouf !), il en résulte un compromis idiot : “Vous ferez comme vous voulez”.

Imaginez la perplexité d'un éditeur tel que l'auteur de ces lignes. Comment fait-on ? À l'intérieur du même texte, on navigue à vue, écrivant “événement” page 12 et “évènement” page 18 ? Puis l'on accepte “des après-midis” (particulièrement inesthétique) ici, puis “des après-midi” là ? Faudra-t-il envisager des livres “bi-orthographiques”, soit dans le même volume, soit sur option ? (Tiens, une idée pour les ebooks, au passage !) Le pire serait de mélanger les deux orthographes au petit bonheur la chance… Nous avions évoqué sur ce blog la confusion qui résultait de l'emploi simultané dans le logiciel Word des deux orthographes (voir à ce lien). Saluons cependant amicalement au passage la démarche courageuse, quoique utopiste, d'une maison d'édition belge, Quadrature, qui applique l'orthographe rectifiée, mais (1) en le signalant explicitement (2) en ne mélangeant jamais les deux systèmes. Un choix qui a certainement à voir avec un militantisme de la francophonie…

4. Respectons le lecteur. Lors d'un “Téléphone sonne” de France Inter consacré à ce sujet, un auditeur affirmait que la mémorisation de l'orthographe par la lecture était une “légende urbaine”. La preuve, précisait-il, je connais de gros lecteurs qui ont une mauvaise orthographe. Faux ! Les deux profils existent, suivant les lecteurs. Certains ont la “mémoire visuelle”, d'autres non, voilà tout. Pensons donc à ceux qui en sont doués, et ménageons-les, en évitant de semer le doute dans leur esprit.

5. La technocratie est également à l'œuvre dans l'Éducation nationale. Nous avons vu circuler sur Facebook le témoignage de cette institutrice qui enseigne l'orthographe rectifiée à ses élèves et clame que “tout se passe bien”. Quelle irresponsabilité ! Tout se passe bien dans son petit monde clôt. Quid des enfants qui ne verront pas dans le monde réel les graphies que leur a enseignées leur institutrice ? On pourrait argumenter que, tels des enfants bilingues, ils sauront faire la différence et jongler entre les deux. Est-ce bien raisonnable ?

6. Il reste que l'usage commandera. Il ne s'agit pas ici d'affirmer que l'orthographe est intangible. Ce serait stupide. En revanche, elle ne se décrète pas… sauf dans les dictatures. Le quotidien Le Monde ne s'y est pas trompé, par la voix de la responsable de son service de correction :
«  La vocation d’un journal généraliste comme Le Monde n’est pas de promouvoir les réformes de l’orthographe ou d’aller au-devant des changements et des modernisations de la langue, comme celles que préconisent les “Rectifications de 1990”, résume Marion Hérold. Le Monde est un peu le reflet de la société dans laquelle vivent ses lecteurs : anglicismes, féminisation des mots et simplifications orthographiques et grammaticales doivent être introduits en douceur lorsqu’ils apportent un supplément de sens, illustrent une réalité évidente ou entérinent un usage incontournable.  » Au bonheur des correcteurs, chronique du médiateur, 19 février 2016.
Cela n'a pas empêché le quotidien d'innover, en particulier sur la féminisation des noms communs. Une attitude ô combien plus avisée et utile !

Nous citerons également ce qu'en disait le Dictionnaire d'orthographe et d'expression écrite Le Robert (sous la direction d'André Jouette, 2009) :
« La langue se modifie lentement. Elle n'aime pas les décrets autoritaires. La dernière réforme, victime de son ambition et de ses incohérences, sombra dans l'oubli.
Consolons-nous de nos difficultés en remarquant que la langue anglaise, qui a une orthographe plus compliquée que la nôtre (ce qui ne semble pas nuire à son succès) n'a jamais pu être améliorée : Anglais et Américains ont reconnu que pour la simplifier, il faudrait la refondre totalement. »
Dans notre monde pressé, l'éloge de la lenteur est salutaire. Et notons au passage la sagesse du pragmatisme anglo-saxon, pour une fois !

[Lisez également notre article de 2014 à propos des dictionnaires de Microsoft Word…] 

10 mai 2014

Deux z'orthographes

Le saviez-vous ?
Il n'existe pas une orthographe française, mais bien deux.
Deux fois plus de travail pour les apprendre !
Alors, faites-vous aider de votre traitement de texte…

[Lisez également notre article de 2016 si tout cela vous intrigue…]

Un paragraphe de texte a été soumis au “correcteur” informatique, en deux versions.


En mode “orthographe traditionnelle”, des fautes sont soulignées dans la seconde version.


En mode “orthographe rectifiée”, des fautes sont soulignées dans la première version.


Pour mettre tout le monde d'accord, passez en mode “mixte”. Mais alors… attention à l'hétérogénéité de vos orthographes ! Des ambiguïtés – pardon, des ambigüités – en perspective…

Addendum du 5 février 2016

Aux éditions AO, nous avons choisi d'appliquer l'orthographe traditionnelle dans nos livres. Rien à voir avec on ne sait quel "traditionalisme". Il se trouve qu'aucun éditeur (ou presque) n'applique l'orthographe réformée de 1990. Nous n'avons aucune raison de jouer aux pionniers, n'étant qu'un "petit éditeur". Respectons le lecteur, évitons-lui de se poser des questions-pièges et de lui faire perdre ses repères ! (Voyez ce qui précède, et mesurez l'ampleur du problème !)
Cependant, pour être complet, il nous arrive d'appliquer certaines des idées de la réforme, mais uniquement lorsque nous constatons que l'usage commence à les consacrer.
L'usage et l'orthographe évoluent lentement, et le principe même d'une réforme autoritaire et technocratique nous semble absurde.

04 janvier 2014

Morgue pleine, morne réédition

Lors d'un passage dans l'excellente librairie lyonnaise Le Bal des Ardents je suis tombé sur ce roman de Jean-Patrick Manchette. Une bonne surprise : je croyais avoir tout lu de cet auteur de polar exceptionnel, eh bien non ! Morgue pleine (1973) ne figurait pas dans ma bibliothèque…

Manchette met en scène un personnage ô combien classique du polar, le détective privé. Eugène Tarpon est un ex-gendarme. Une bavure involontaire lors d'une manif l'a rayé des effectifs, et il survit dans son misérable appartement-bureau. Une jeune femme, curieusement nommée Memphis Charles, débarque pour demander de l'aide, suite à l'assassinat de sa colocataire.
L'intrigue se complique au fur et à mesure que Tarpon tente de la clarifier. La précision de la langue de Manchette permet de ne jamais être perdu, de garder les repères nécessaires pour suivre avec intérêt la progression de l'enquête. Contrairement aux romans anglo-saxons, les personnages sont toujours bien campés, signalés avec ce qu'il faut de précisions pour qu'on n'hésite jamais sur leur rôle et leur identité. Le titre rend compte du contenu : tant l'auteur que son personnage font preuve d'une “morgue” assumée dans leur façon de relater (ou de vivre) l'histoire, tandis que les cadavres s'accumulent, direction… la Morgue. Bref, du grand art !

Ce volume 89 de la collection Folio Policier déçoit cependant par sa facture. Pour des raisons de budget qu'on comprend aisément – mais que l'on ne peut que déplorer –, le texte n'a pas été saisi pour cette réédition. L'éditeur s'est contenté de scanner les pages de l'ancienne édition, avec malheureusement beaucoup de défauts : contrastes défectueux, caractères à moitié effacés, texte parfois flou.


Page 123 : les virgules ont l'air de points, ce qui gêne le rythme de lecture, des apostrophes manquent, des J ont l'allure de I, la marque Toronado devient Ioronado, le U majuscule est tronqué… bref, c'est le “boxon” comme l'écrit l'auteur !

On retrouve là les défauts de la numérisation en chaîne telle que la pratiquent GoogleBooks ou même la BNF (Gallica) et l'Imprimerie Nationale. Voilà qui ne fait pas honneur au livre !

De surcroît, des coquilles subsistent. Certaines ont de la classe, et étaient probablement volontaires, comme d'orthographier la marque automobile “Mercédès”, d'autres sont purement fortuites, comme au début du chapitre 14, lorsque le mot “échafaudage” revient trois fois dans le premier paragraphe, écrit deux fois avec deux F et une fois avec un seul…

Terminons avec ce choix de Manchette de jouer avec le verbe “hocher” (la tête), qui revient sans cesse dans les romans anglo-saxons, et dont il use à sa façon en le rendant intransitif. “J'ai hoché”, dit souvent Eugène Tarpon. Un bon exemple du style de l'auteur, qui fait d'un détail sa marque de fabrique…