08 juillet 2016

Rencontres interprofessionnelles du livre (Arald)

Hier, 7 juillet 2016, se tenaient à Lyon les rencontres interprofessionnelles du livre, organisées à la Villa Gillet par l'ARALD (Agence Rhône-Alpes du Livre et de la Documentation). Près de 200 “acteurs du livre et de la lecture” étaient rassemblés, représentant la quasi-totalité de la “chaîne” du livre : auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires et documentalistes, lecteurs enfin. Ainsi que l'a remarqué un participant en fin de rencontre, il ne manquait que les imprimeurs.


Les éditions AO faisaient partie de la trentaine d'éditeurs de la région qui présentaient leur catalogue sur des mini-stands mis à leur disposition dans l'un des salons de la Villa. Ce fut l'occasion de dialogues impromptus avec des auteurs, des bibliothécaires, ou mes jeunes voisins, animateurs d'une maison d'édition consacrée à la musicologie, Microsillon éditions, tandis que j'ai eu l'occasion et le plaisir de rencontrer Catherine Destivelle, alpiniste renommée et depuis peu éditrice (éditions du Mont-Blanc).

Au cours des sessions tenues durant cette copieuse journée, j'ai glané quelques informations que je vous livre en relisant mes notes – sujettes à “erreurs ou omissions”, vous me le pardonnerez par avance.

Vous pouvez aussi lire le compte rendu de Story-Makers.net à cette adresse, ainsi que celui d'ActuSF à celle-ci.

Le baromètre régional de l'économie du livre en région, publié régulièrement par l'agence (Narges Temimi), nous indique une bonne cinquantaine de maisons d'édition, réalisant un chiffre d'affaires de 80 millions d'euros, dont 30 pour le seul groupe Glénat. Aux deux-tiers généralistes, elles sont 40% à avoir une activité complémentaire. Près de 65% délèguent leur diffusion à une entreprise tierce. Leurs livres sont distribués à 44% en librairie (deux fois plus que la moyenne nationale). Ces dernières (une centaine étudiées) réalisent un chiffre d'affaires de près de 150 millions d'euros (dont 34 pour le groupe Decitre).

Une série d'enquêtes sur les auteurs a été résumée par Philippe Camand. Il en ressort, si j'ai bien compris, que l'on peut considérer que 1600 auteurs “vivent de leur plume” en France, à rapprocher des quelque 100000 auteurs ayant touché des droits, aussi minimes soient-ils. Ces 1600 happy few  gagneraient un peu plus de 3 SMIC par an (sans qu'on sache si c'est le cas tous les ans). J'ai noté que les à-valoir moyens étaient évalués à 1000 € pour les auteurs de textes, à 2000 € pour les traducteurs, et à 4500 € pour les dessinateurs de BD.

Emmanuel Négrier, chercheur au CNRS, a étudié les activités “connexes” des auteurs, dans lesquelles on retrouve les séances de dédicaces pour 95% d'entre eux (ce n'est pas un scoop !), les salons du livre, lectures publiques et animations d'ateliers de lecture. Seuls 5% ont des activités connexes rémunératrices, comme l'écriture de scénarios. Nous rappelant qu'en chinois, la France signifie “pays de la loi”, il regrettait cependant que celles-ci ne soient pas toujours respectées à l'égard des auteurs. Je n'ai pu m'empêcher de souffler à ma voisine bibliothécaire que j'avais versé, en 6 ans et pour 7000 livres vendus, plus de 10000 € de droits d'auteurs. C'est beaucoup… et peu à la fois.

Quelques tâtonnements dans Google Traduction sur le nom de la France en chinois

Mais, quand on observe l'équation économique du livre, force est de constater que toutes les filières sont extrêmement contraintes, à commencer par les libraires. Le désir d'être publié est si fort, de surcroît, que les auteurs sont à l'évidence en position de faiblesse face aux éditeurs. À mon sens, seule une augmentation spéciale du prix du livre de 5% permettrait de mieux rémunérer les auteurs (à condition de leur être affectée directement). Il faudrait alors voir quelles seraient les réactions des lecteurs-acheteurs (et des bibliothèques) si tout livre coûtait soudain de 0,50 à 2 € de plus…

L'après-midi a été spécialement tonique, avec la présentation, en seulement une heure, des “pecha-kucha” d'une douzaine de projets innovants, parmi lesquels figuraient :
  • Une maison d'édition auvergnate (éditions du Miroir) qui renverse délibérément les rôles en allant non pas “à la rencontre des attentes des lecteurs” mais en cherchant à en créer de nouvelles, en “interrogeant les évidences” – vaste programme !
  • Un logiciel en ligne pour le calcul des droits d'auteurs (droits.info), qui m'a fait penser à ma profession de conseil en informatique (et à mon outil “maison” de calcul, indispensable pour ne pas devenir un traumatisé de la calculette).
  • Une plateforme numérique multimédia, 1D Touch, aux concepts aussi innovants que difficiles à comprendre “hors ligne”, comme les “capsules créatives”, une image qui donne envie de s'envoler dans la stratosphère !
  • Et, en vrac (excusez) un “libraire volant” d'Auvergne, une action en faveur des “oubliés des vacances” (livres jeunesse en cadeaux), un éditeur de paroles de conteurs (Oui'Dire) ou des actions de fédérations d'initiatives.

La table ronde finale, intitulée avec malice “Génération X, Y… Z comme Zéro lecture” a permis de remettre en cause toutes sortes d'idées reçues et de clichés sur la lecture des jeunes – au sens large :
Au regard de la lecture (sur écran ou papier), la notion de digital natives n'a aucune pertinence, bien au contraire (Olivier Zerbib), n'oublions pas qu'un livre “de 527 grammes” est très lourd à manipuler pour des adolescents peu accoutumés à l'objet-livre (sic, Cécile Mansour, prof de lettres en lycée professionnel), et que la lecture de mangas peut très bien déboucher sur d'autres lectures, voire apporter passion et réflexion au-delà de ce qu'on imagine (Christine Détrez, sociologue). Enfin, Pauline Torbaty-Crassard, animatrice d'un réseau social de lecture, nous a révélé que, parmi ses membres, 11% lisent… plus de 10 livres par mois, elle-même ayant lu 600 livres par an de la sixième à la troisième ! Expérience commune : l'arrivée des lectures obligatoires et “sérieuses” du lycée, couplée aux contraintes de la vie sociale des lycéens, entraîne une baisse notable de la lecture de livres. Globalement, il ne semble aucunement que les jeunes lisent moins que par le passé. Tout au plus n'hésitent-ils pas à le dire, tandis que la part des lecteurs remonte régulièrement entre 25 et 35 ans. À noter que les garçons sont nettement moins attirés par la lecture, considérant cette activité peu “virile” quand ils ont 15-18 ans (ah la la…), même si un jeune “youtubeur” partageant ses coups de cœurs de lecture en vidéo nous a paru très “viril” dans son approche directe et frontale du livre !

Une journée “remue-méninges” cordiale et à la tonalité plutôt joyeuse, en dépit de toutes les difficultés qui planent tant sur le secteur du livre que sur l'Arald elle-même, qui ne perd pas pour autant son enthousiasme.