Lors d'un passage dans l'excellente librairie lyonnaise Le Bal des Ardents je suis tombé sur ce roman de Jean-Patrick Manchette. Une bonne surprise : je croyais avoir tout lu de cet auteur de polar exceptionnel, eh bien non ! Morgue pleine (1973) ne figurait pas dans ma bibliothèque…
Manchette met en scène un personnage ô combien classique du polar, le détective privé. Eugène Tarpon est un ex-gendarme. Une bavure involontaire lors d'une manif l'a rayé des effectifs, et il survit dans son misérable appartement-bureau. Une jeune femme, curieusement nommée Memphis Charles, débarque pour demander de l'aide, suite à l'assassinat de sa colocataire.
L'intrigue se complique au fur et à mesure que Tarpon tente de la clarifier. La précision de la langue de Manchette permet de ne jamais être perdu, de garder les repères nécessaires pour suivre avec intérêt la progression de l'enquête. Contrairement aux romans anglo-saxons, les personnages sont toujours bien campés, signalés avec ce qu'il faut de précisions pour qu'on n'hésite jamais sur leur rôle et leur identité. Le titre rend compte du contenu : tant l'auteur que son personnage font preuve d'une “morgue” assumée dans leur façon de relater (ou de vivre) l'histoire, tandis que les cadavres s'accumulent, direction… la Morgue. Bref, du grand art !
Ce volume 89 de la collection Folio Policier déçoit cependant par sa facture. Pour des raisons de budget qu'on comprend aisément – mais que l'on ne peut que déplorer –, le texte n'a pas été saisi pour cette réédition. L'éditeur s'est contenté de scanner les pages de l'ancienne édition, avec malheureusement beaucoup de défauts : contrastes défectueux, caractères à moitié effacés, texte parfois flou.
Page 123 : les virgules ont l'air de points, ce qui gêne le rythme de lecture, des apostrophes manquent, des J ont l'allure de I, la marque Toronado devient Ioronado, le U majuscule est tronqué… bref, c'est le “boxon” comme l'écrit l'auteur !
On retrouve là les défauts de la numérisation en chaîne telle que la pratiquent GoogleBooks ou même la BNF (Gallica) et l'Imprimerie Nationale. Voilà qui ne fait pas honneur au livre !
De surcroît, des coquilles subsistent. Certaines ont de la classe, et étaient probablement volontaires, comme d'orthographier la marque automobile “Mercédès”, d'autres sont purement fortuites, comme au début du chapitre 14, lorsque le mot “échafaudage” revient trois fois dans le premier paragraphe, écrit deux fois avec deux F et une fois avec un seul…
Terminons avec ce choix de Manchette de jouer avec le verbe “hocher” (la tête), qui revient sans cesse dans les romans anglo-saxons, et dont il use à sa façon en le rendant intransitif. “J'ai hoché”, dit souvent Eugène Tarpon. Un bon exemple du style de l'auteur, qui fait d'un détail sa marque de fabrique…