25 mai 2014

Les Yeux jaunes des crocodiles

Je cherchais un film à aller voir. Tiens, Les Yeux jaunes des crocodiles. Drôle de titre ! Avec Emmanuelle Béart et Julie Depardieu. Un duo tentant. La bande annonce est plutôt séduisante. Et on y parle de livres et d'auteurs. Banco !

Ce que j'aime, c'est inverser la démarche habituelle : lire le livre qui a inspiré un film après avoir vu le film. La plupart du temps, cette lecture permet d'approfondir la psychologie des personnages, de découvrir des rebondissements que le script n'a pas pu traiter pour cause de durée limitée. Ça semble être le cas ici : le film durait 2 heures, le livre a plus de 600 pages, une dizaine d'heures de lecture en perspective.

Il me faudra 200 pages pour m'habituer au style de Katherine Pancol. J'ai appris en achetant l'édition Livre de Poche que le roman a été un best-seller. Je n'ai aucune prévention à l'égard des best-sellers. Ce serait de mauvais goût, pour quelqu'un qui exerce une activité d'éditeur – à tout le moins de la mauvaise foi. Il est utile et instructif de lire un roman qui a séduit des dizaines de milliers de lectrices et lecteurs.

La façon de raconter la vie de cette galerie de personnages est toute particulière. Tandis que la romancière relate les faits, elle entrecoupe sans cesse son texte des pensées de chacune et chacun. Et ce sans aucune rupture typographique. Un indice : quand on passe du passé simple (relation de l'histoire) au présent, c'est qu'il s'agit de pensées. Il faut s'y habituer. D'autant que les pensées, c'est bavard, si l'on peut dire. D'où les 600 pages. Mais j'ai accroché, même en connaissant le scénario. Donc, chapeau à l'auteure.

Curieusement, à part une ou deux péripéties secondaires, on n'apprend rien de plus que ce que le film montrait en images. Les personnalités de Joséphine, Iris, Hortense, Philippe, Marcel, sont encore plus caricaturales que dans le long métrage. J'ai aussi eu souvent l'impression que la romancière n'aimait pas ses personnages, alors qu'elle clame le contraire. Joséphine est beaucoup plus "mollassonne" que son interprétation par Julie Depardieu, subtile et attachante. Et Katherine Pancol ne semble la considérer qu'à partir du moment où l'argent rentre sur son compte en banque, et qu'elle devient capable d'en gagner. Un état d'esprit très anglo-saxon, ai-je trouvé. Même chose pour l'irritante Hortense (la paire de claques qu'elle reçoit dans le film avait déclenché l'enthousiasme de spectatrices dans la salle). Dans le roman, l'adolescente prétentieuse du film se transforme en machiavélique séductrice. Iris, toujours dans le roman, est carrément sacrifiée. Pas de pitié pour les perdantes ! Ni au début, quand c'est Joséphine, ni à la fin, quand c'est au tour de sa sœur.

Et, en dépit de relectures certainement précises et attentives, quelques clichés ne manquent pas de se répéter. Difficile d'échapper à nos “expressions préférées” quand nous écrivons. Katherine Pancol est adepte de deux expressions très datées. “Battre froid”, d'abord, utilisé une demi-douzaine de fois au moins, y compris dans les dialogues : “Je ne sais pas ce qu'il a, il me bat froid”. Et le “fait aux pattes”, répété une vingtaine de fois, non sans une certaine gourmandise.

Il reste une satire assez drôle du monde des médias et de l'édition. Dans cette histoire, un éditeur est capable de faire une avance de plusieurs milliers d'euros à la seule lecture des 20 premières pages d'une ébauche de roman. Il a du nez, cet homme. Et de la trésorerie ! Ne rêvez pas, chers auteur(e)s qui me lisez, je n'en ai pas (encore !) les moyens !

En bonus : un extrait des remerciements placés par l'auteure en fin de volume, selon un usage d'origine anglo-saxonne. Il mériterait de figurer dans une anthologie du genre.


À noter une coquille typographique typique, qui provient du traitement de texte Word. Quand on saisit un point d'exclamation, Word ajoute une espace juste avant. D'où l'espace entre la parenthèse ouvrante et le premier point d'exclamation, qui n'a pas lieu d'être… Quant au nombre de points d'exclamation, un seul aurait suffi, le fait de naître à Megève n'étant pas si extraordinaire (!!!!).