Aux éditions AO, comme vous devez vous en douter, la lecture est une passion… sans avoir le monopole. Le cinéma a tout autant sa place. Parfois, le livre et le film peuvent sembler concurrents. Peut-être est-ce ce que j'ai ressenti en constatant que Seul sur Mars sortait simultanément dans les salles obscures et dans les rayons des librairies, qui plus est en deux formats : “grand” livre et livre de poche. Voilà qui m'a donné envie de lire le livre en premier.
La forme du premier roman du jeune Andy Weir (39 ans à sa publication) est celle du journal, rédigé à la première personne par le naufragé de la planète rouge, Mark Watney. Durant les 60 premières pages, nous sommes seuls avec lui sur Mars. On ressent bien son désarroi, tout autant que son ingéniosité.
Le romancier insère ensuite des scènes se déroulant sur la Terre. Près de 500 pages, il les fallait pour que l'on ait le temps de se languir de notre planète… De 6 à 7 heures de lecture, jamais lassante en dépit des explications détaillées des actions et idées déployées par Mark pour survivre – on sent que l'auteur voulait être crédible, au prix d'un didactisme parfois naïf.
Dès lors, une fois le livre refermé, pourquoi aller voir le film au cinéma ?
Pour ma part, ce furent 2 heures et 21 minutes de bonheur. En aucun cas je n'ai été gêné de connaître les péripéties, ainsi que la fin. Bien au contraire, j'attendais avec impatience et jubilation de voir “comment” serait rendue telle ou telle scène. N'oublions pas que nous sommes dans un autre monde, sur une autre planète. L'imagination nous a parfois manqué, Watney restant avare de descriptions – il faut bien qu'il cultive ses pommes de terre et accomplisse tous ses travaux au lieu d'écrire des descriptions à la Châteaubriand !
Avec le film, c'est un réel plaisir de “voir” ce que l'on a tenté d'imaginer en lisant le livre. D'autant que le travail du réalisateur et des décorateurs se révèle somptueux, tant dans les paysages que dans le matériel, le fameux “Habitat”, les véhicules (ces “rover”), ainsi que le vaisseau spatial Hermès. L'éclairage très particulier, cette lumière de Mars, enveloppe les décors et le personnage de teintes mordorées et de contrastes bienvenus. Le fait de n'avoir pas abusé de la 3D donne un surcroît de réalisme – du moins dans notre ressenti : on s'y croirait !
J'admire toujours la maestria des scénaristes, capables de condenser 500 pages de roman en 2 heures (et quelque). Je notai au passage telle ou telle simplification ou ellipse, ainsi que les astuces destinées à nous éviter autant que faire se peut la voix off. Pour laisser du temps à la scène finale, les scénaristes ont dû passer un peu vite sur le long et périlleux voyage en “rover” qu'entreprends Watney. C'est peut-être le seul défaut d'équilibre du film. Il aurait fallu ajouter une petite demi-heure, au risque d'impatienter certains spectateurs…
Et Matt Damon, là-dedans ? Impeccable. Certains le trouveront trop résistant, trop solide psychologiquement. Certes, il ne se décourage jamais. Pour autant, toute l'intrigue repose là-dessus. Si ce “Robinson sur Mars” était dépressif ou apathique, à l'évidence il n'y aurait pu avoir de roman, ni de film.
Conclusion : Seul sur Mars réconcilie roman et film, livre et salles obscures. Au total, j'aurai passé près de dix heures sur Mars. Eh bien, croyez-moi ou pas, je ne m'en suis aucunement lassé.
Jean-Luc Tafforeau, éditions AO