Le roman de Sophie Divry, Quand le diable sortit de la salle de bain, m'a procuré une lecture stimulante à bien des égards.
Cette chronique de la vie précaire de la narratrice – qui porte son prénom – met les points sur les i en dénonçant les galères auxquelles sont confrontés tant de nos concitoyens, en particulier les plus jeunes. Les fins de mois avec à peine 1 € par jour pour ne serait-ce que se nourrir, les atermoiements et menaces des organismes sociaux, les facturations soudaines et aléatoires des fournisseurs de services de base (électricité, eau), tout est minutieusement décrit… avec un humour dévastateur.
Les fantaisies textuelles – l'éditeur qualifie avec raison l'auteure de “facétieuse” – dynamitent la lecture, et font la preuve des virtuosités de Nord Compo, dont j'ai remarqué la signature dans nombre de livres, garantie d'une mise en pages exemplaire (je conserve certains de ces livres pour m'inspirer et me cadrer dans mes travaux d'édition).
Facéties sur la forme, mais aussi sur le fond, avec ces énumérations répétitives occupant parfois plusieurs pages… Il faut oser, car le lecteur risque de se lasser en dépit de l'humour et d'une aisance indéniable de l'auteure dans le maniement des mots. On songe à la liste des “hommes qu'elle n'aime pas”, soit 5 pages compactes, très instructives au demeurant ! Bien vue également, la description détaillée des tâches d'une serveuse de restaurant, qui nous fait prendre soudain conscience de la difficulté de ce métier, trop souvent vanté par Pôle Emploi comme à la portée de tout un chacun, pour cause d'offres non pourvues – on comprend mieux pourquoi, bravo !
N'empêche ! Il faut oser, pour inclure de telles digressions et acrobaties dans un roman ! En tant qu'éditeur, voilà qui me rassure, ou du moins me conforte quand je me trouve plongé dans des abîmes de perplexité ou de manque de confiance… Que Le Monde des Livres, cité en quatrième de couverture, soit positif m'a bluffé. Soumettre aux si sérieux critiques de ce journal un pareil texte m'aurait carrément fait paniquer. Eh bien non, les voici louant la “réponse bravache à la pauvreté matérielle du quotidien”, ce qui est assez juste. Ouf !
Il reste que la fin est abrupte, en dépit des “bonus” offerts à la façon d'un DVD. Elle pourrait même être interprétée dramatiquement. Constatant la réussite de l'auteure et ses succès de librairie, peut-être qu'oser une happy end aurait été jouable, rassérénant le lecteur un brin désespéré pour s'être identifié à la narratrice. On songe à la “résidence d'écrivaine” obtenue, si l'on a bien compris, pour achever l'écriture du roman. Son titre initial, simple et direct, était “Chômage”. Il est devenu carrément alambiqué, avec ce diable qui sortit de la salle de bain – “bain” sans S, contrairement à ce que je corrige sans cesse dans les tapuscrits que j'édite. Comme quoi les titres peuvent aussi recéler des coquilles. Celle-là est plus amusante qu'autre chose, et sujette à caution, éternelle question du pluriel dans ce type d'expressions, sans réponse incontestable.
Enfin, le roman se déroule à Lyon, sur les pentes de la Croix-Rousse, autre référence élégamment campée par l'auteure. Pour être Lyonnais d'adoption depuis quelque vingt années, j'ai ressenti comme juste l'ambiance décrite, ou plutôt l'état d'esprit qui filtre de cette chronique désabusée. D'ailleurs, j'ai imaginé que le nom de l'auteure pouvait être un pseudonyme, sur le mode de Virginie “des pentes” (de la Croix-Rousse), une écrivaine “d'Ivry” faisant penser à la commune du sud de l'Île-de-France…
Jean-Luc Tafforeau, éditions AO