Depuis, la “cordée littéraire” que nous avions formée a poursuivi ses ascensions.
En 2015, Jean-Claude Charlet devenait à nouveau président de la Compagnie des Guides de Chamonix. Ce mandat devait malheureusement prendre fin à l'automne 2016, Jean-Claude apprenant qu'il était atteint d'un cancer nécessitant des traitements lourds. Il parvint, à force de courage et de ténacité, à reprendre des forces au printemps 2017, et me demanda de l'accompagner dans la réalisation d'un nouveau livre.
De mai à septembre, Jean-Claude a donc travaillé sur des textes inédits, et a révisé profondément la forme de ses discours prononcés à Argentière ou Chamonix depuis 2014. Nous avons porté la plus grande attention au style, aux enchaînements, à l'ordre d'apparition des chapitres – au nombre de 12 – puis, à son initiative, sélectionné de nombreuses photos en couleur afin d'enrichir le livre. Des photographes de talent, professionnels ou amateurs, ont accepté de nous confier leurs clichés, voire de réaliser des prises de vues spécialement pour l'occasion comme le fit Gilles Piel. Les guides Didier Tiberghien et David Ravanel figurent parmi les contributeurs, ainsi que Sonia Guiollot et Géraldine Charlet pour des dessins et aquarelles. La collection personnelle de l'auteur a permis aussi de retrouver des clichés historiques, comme celui de Camille Devouassoux au sommet du Petit Dru dans les années trente (ci-dessus).
Le 5 septembre 2017, Jean-Claude Charlet mettait le point final au dernier chapitre, dont le titre lui avait été inspiré par son préfacier, Maurice Simon, De l'autre côté des nuages.
Il restait à passer à la relecture du texte, à la mise en pages, à la sélection et au placement des photos dans le corps du livre, à concevoir la couverture, à trouver un titre… avec pour objectif une parution “pour Noël”. Nous allions alterner séances de travail à distance ou aux Frasserands pour donner tout son lustre à ce livre dont le titre était enfin fixé après plusieurs séances de brainstorming : ce serait “Un guide de montagne à livre ouvert”.
C'est alors que, courant octobre, Jean-Claude était rattrapé par ce mal sournois que pourtant il semblait avoir jugulé, comme il le relate dans un chapitre au titre ironique, “Le tourteau du président”. Soudain, la course contre la montre devenait une course contre la maladie, une expérience terrible qu'il mena avec une énergie et un courage admirables. À la mi-novembre, Jean-Claude était hospitalisé à Annecy. Nous n'en poursuivions pas moins nos échanges, le “bon à tirer” étant donné à l'imprimeur le 20 novembre.
Entretemps, le mal progressait. Par chance, l'imprimeur accepta de réaliser en urgence deux exemplaires du livre à paraître, que Jean-Claude Charlet put tenir entre ses mains le mardi 28 novembre – qui se trouvait être la date anniversaire de la mort de son père, Armand Charlet, ainsi qu'il me l'indiqua dans un message téléphonique ému. Le jeudi 30 novembre, l'imprimeur m'avertit que le stock de livres était expédié. Il restait à patienter… sauf que le cancer progressait à vive allure, au point d'avoir raison des forces de Jean-Claude à minuit, dans la nuit du 1er au 2 décembre 2017…
Jamais je n'aurais cru être confronté, en tant qu'éditeur, à un tel contexte, dans lequel l'urgence était devenue vitale. Quelle chance d'avoir pu faire parvenir à l'auteur le résultat de son travail ! Mais quelle émotion, et quel désarroi qu'il soit “absent pour toujours” au moment où son témoignage était publié !
La “cordée littéraire” que nous formions est désormais un merveilleux souvenir, le “guide” me manquera, tant cette collaboration m'a apporté de nouveaux points de vue sur l'alpinisme, le métier de guide et, plus encore, sur la Vie elle-même…
La cérémonie des obsèques de Jean-Claude s'est tenue le mardi 5 décembre à Argentière, émaillée d'hommages de très haute tenue, tandis que son fils Zian lisait les deux dernières pages du livre, Voici quelle est ma liberté, un texte en forme de testament – qui pourtant avait été écrit avant que Jean-Claude n'ait connaissance de la rechute qui lui serait fatale.
Aux éditions AO, nous avons fait nôtre cette maxime de Paul Auster : “Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir des livres”. Le pouvoir des livres est, c'est un fait, puissant ; il permet de garder, au-delà de la mort, la trace d'idées, de témoignages, d'émotions… et d'assurer leur transmission. Mais ce n'est qu'un livre, qu'une part infime de la personnalité qui, soudain, s'est évanouie, a quitté notre monde.
Nous citerons pour terminer, avec son accord, un extrait de l'hommage que Maurice Simon a lu à la cérémonie du 5 décembre :
“Tu es désormais parti pour ta dernière grande course, ta dernière grande ascension Jean-Claude. Nous parlions souvent de fin de vie, mais en fait pour les amis tu ne seras jamais absent. Bien sage était celui qui disait : « Mon ami n’est pas mort puisqu’il continue de vivre en moi ». Je trouve cela très beau et j’y rajouterai modestement : « Je ne suis pas mort car je vis aussi du souvenir de mon ami qui m’a tant offert ». Que sommes-nous donc sans l’autre ?”Billet rédigé par Jean-Luc Tafforeau, gérant des éditions AO, le 30 décembre 2017
Les photos inédites reproduites ci-dessus sont de Gilles Piel : http://www.gilles-piel.com