Connaissez-vous les “topos-guides” d'alpinisme ? Non ?
Ce genre littéraire – c'en est un, nous en sommes convaincus – consiste à rassembler les descriptions des itinéraires que les alpinistes ont parcourus sur les parois des montagnes. Les métaphores graphiques ne manquent pas : on “trace” une “nouvelle ligne” sur une face. Ces traits pointillés sur des photos ou des dessins peuvent sembler fort éloignés des aventures humaines vécues par ceux qui les ont suivis en vraie grandeur !
Un exemple de topo, tiré de CampToCamp, présentant des itinéraires de la face nord de l'aiguille du Midi (auteur : Thomas Charbonneau, voir à ce lien)
Détrompez-vous, la richesse de ces ouvrages, le luxe de détails qu'ils recèlent, peuvent en rendre la lecture passionnante. D'un point de vue graphique, avant tout. Il y a quelque chose d'artistique dans ces itinéraires. Nombre d'alpinistes capables d'imaginer, puis de parcourir, de telles lignes recherchent la perfection : tracé “direct”, tel un fil à plomb tombant du sommet, repérage des “lignes de faiblesses” – parfois bien “fortes” au demeurant –, découverte de tel ou tel relief caractéristique, face, éperon, pilier, arête, voire ces minuscules couloirs de glace éphémères que l'on appelle “goulottes”.
Le dernier topo-guide de JMEditions traite de la face nord des Grandes Jorasses.
Vous en aurez forcément entendu parler, ne serait-ce, pour les moins jeunes, que par le titre d'un livre de René Desmaison, 342 heures dans les Grandes Jorasses.
L'auteur, Julien Désécures, guide de haute montagne, nous livre ici une véritable encyclopédie de la face nord, tant géographique qu'historique, mais aussi technique, bien sûr, avec moult considérations sur la façon d'envisager de gravir ce mur de roc et de glace, y compris d'un point de vue météorologique.
Ci-dessus : la face nord des Grandes Jorasses et ses quatre sommets les plus repérables, pointes Walker, Whymper, Croz et Marguerite.
Car cette face alpine est exceptionnelle à tous égards. Très haute (jusqu'à 1200 m, soit trois tours Eiffel empilées), très large aussi (plus d'un kilomètre et demi), très difficile, très froide en raison de son exposition, elle a attiré tous les alpinistes de haut niveau, pour une longue histoire entamée dans les années 1930, et qui n'a cessé de se développer durant huit décennies…
Logiquement, on trouve dans ce topo un condensé de toute l'histoire de l'alpinisme, de la “conquête” (terme éminemment militaire !) aux parcours express (un alpiniste l'a gravie en 2h20 récemment), en passant par les grandes entreprises hivernales, les ascensions solitaires, voire les deux en même temps. Plus récemment, les praticiens experts ont été capables de découvrir des itinéraires, inédits ou pas, qui tirent tout le parti des techniques récentes de progression en terrain mixte (dry-tooling sur rocher et glace mêlés, “placages” de neige durcie collés sur la roche).
Qui dit histoire de l'alpinisme dit aussi acteurs de cette histoire. La face nord des Grandes Jorasses a inévitablement attiré tous ceux qui voulaient marquer d'une façon ou d'une autre cette histoire épique. Il serait fastidieux de citer tous les alpinistes célèbres qui ont sillonné cette face : ils s'y sont presque tous illustrés d'une façon ou d'une autre !
C'est ce que nous détaille le topo-guide de Julien Désécures.
Il nous montre que chaque relief de la face cache souvent une véritable montagne à lui seul. Ce qui, de face et de loin, ressemble à un simple éperon, est en réalité un ensemble massif à deux faces et une arête, dans lesquels circulent d'innombrables itinéraires – pas loin d'une cinquantaine au total !
Même si l'on sait que jamais, au grand jamais, on ne gravira aucun de ces itinéraires, prendre connaissance de leurs tracés, de leurs descriptions, de leur histoire suffit au plaisir du lecteur.
De nombreuses photos prises durant des ascensions de la face nous permettent d'imaginer l'ambiance – et les sensations qu'elle suscite – des lieux. De larges citations d'alpinistes ayant gravi cette face donnent du piment aux descriptions, tandis que des topos dessinés à la main – les œuvres “originales” – sont rassemblés en annexe.
Le blog de l'auteur donne un aperçu de la documentation ainsi rassemblée.
La connaissance de toutes ces lignes enrichit considérablement la contemplation d'une montagne. Un peu comme un plan d'architecte nous aide à comprendre les qualités d'un édifice, ou comme une partition musicale donne les clés de l'inspiration du compositeur. Les topos-guides d'alpinisme sont cependant beaucoup plus facile à lire que les critiques d'architectures (souvent élitistes) ou les partitions de musique (solfège oblige). Là où la difficulté commence, en revanche, c'est quand le pratiquant – ou le praticien, à votre guise – se trouve “au pied du mur”, et doit interpréter un croquis de 15 centimètres de hauteur résumant une ascension de plus de 1000 mètres…
Tout un art !
Grandes Jorasses, Face nord, North Face, bilingue français-anglais, par Julien Désécures, JMEditions 2013 - ISBN 978-2-918824-15-2